Pour qui espérait trouver là un nouveau film de Raymond Depardon, et, par exemple, un pendant du travail qu’il exposa l’an dernier à la BNF, Journal de France risque d’être une déception. Et le titre lui-même sonnera comme une promesse non tenue, ou seulement à moitié. Journal de France, c’est plutôt le journal de Claudine, Claudine Nougaret qui depuis plus de vingt ans est à la fois la compagne de Depardon, son ingénieur du son, parfois sa productrice ; Claudine qui, à travers celui de leur couple, fait le portrait de Raymond. Portrait de couple, donc (le travail de Raymond vu dans le regard amoureux de Claudine), portrait en couple (le film est signé et assumé main dans la main), et pourtant c’est un portrait guidé par la seule la voix de Nougaret et qui, à ce titre est un peu fait dans le dos de Depardon. Dans son dos littéralement quand, pour une part, le film le suit sur la route de cette « France des sous-préfectures » qu’il arpente en caravane pour fixer la cartographie des clochers, des bistrots, des rond-points – c’est, de loin, la moitié la plus intéressante du film. Dans son dos encore quand Nougaret commente pour lui une guirlande chronologique d’archives tirées de sa cave, principalement des chutes de ses films les plus célèbres, et quelques inédits (les premières images filmées par Depardon, en amateur, à Paris). Peu de révélations dans cette exégèse sentimentale, qui, c’est son charme et sa limite, donne un peu l’impression de voir défiler un diaporama commenté pour l’assistance d’un anniversaire de mariage. Sinon celle-ci, qui n’en est pas tout à fait une : de l’Afrique aux campagnes fantomatiques des Profils paysans, Depardon a, plus que tout, le goût des déserts. Pour le reste, le plus beau trésor exhumé par cette partie-là ne ressort pas du grenier de l’oeuvre de Depardon, mais de celui de la carrière de Nougaret : c’est une poignée de plans volés en super 8 sur le tournage du Rayon vert, où Nougaret fut assistante.
De l’autre côté du film se loge le vrai Journal de France, là où Depardon, indifférent au mausolée que lui dresse Nougaret, en dresse un autre, celui de la France des bistrots dont il capture à la chambre les derniers spectres. Voir Depardon au travail, le voir poser sa chambre sur les routes anonymes du pays, comme un peintre y déposerait son chevalet, le voir attendre chaque fois l’image idéalement déserte, revêt un peu plus que l’intérêt sommaire du making of. Depardon dans le cadre, c’est moins un secret qui se révèle (celui des coulisses de l’artisanat ou du génie) qu’un geste qui se prolonge, tel que le dernier volet de Profils paysans, déjà, l’avait renouvelé. Une manière d’occuper finalement le tableau, de franchir la barrière tracée à l’origine par la leçon du cinéma direct, d’habiter un monde (cette France rurale qui l’occupe depuis dix ans) qui fut le sien mais qu’il ne devait connaître et explorer que sur le tard, après un long détour. Ces moments-là en disent plus, et de manière infiniment plus belle, sur l’oeuvre de Depardon et sa patiente traversée des déserts.