Comment adapter, en pleine mode du teen-movie anar’, une mignardise télé que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ? La fine équipe ici aux manettes (Phil Lord et Chris Miller, petits golden boys du comique US, avec Jonah Hill au script) ne se pose pas un instant la question, puisque 21 Jump street est clairement un film-prétexte. On se fout pas mal des minets 80’s et de leurs paquets de gel : place aux jeunes beaufs en devenir qu’on connaît mieux, parce qu’ils règnent aujourd’hui sur les films de campus, y prêchant le vandalisme licencieux. Exit donc les petites gueules d’ange et les enrobages soap, bonjour l’épaisseur lourdaude de Tatum et surtout de Hill, dans son premier rôle post-Weight Watchers : paradoxalement, la finesse de ses grandes heures apatowiennes a fondu avec ses bajoues.
Pourquoi ce faible pour les bras cassés bourrins, plutôt que la gracilité de l’ère Depp ? Pas seulement pour s’adresser au public de Projet X, Very bad trip ou des American pie. Surtout pour tenter une grande mise à sac, à la fois du polar et de la comédie boutonneuse ; se montrer plus malin que les petits malins, en déjouant les attentes à grands renforts de poil à gratter vaguement postmoderne. Courses-poursuites, premiers bisous, tout se solde dans une déroute piteuse, une débandade magistrale. Un running-gag symbolise la formule : après chaque crash d’autos, on attend la sacrosainte déflagration finale, en vain ; puis celle-ci arrive plus tard, au gré d’une chiquenaude insignifiante qui implique, par exemple, un camion plein de poulets. La série originelle est effectivement un terreau idéal pour ce genre de pantalonnades déréglées, puisque son intrigue n’est par essence qu’un prétexte à toutes les truculences : l’infiltration de ces jeunes flics, décidés à démanteler un trafic de stupéfiants dont on n’a cure, est évidemment une excuse pour faire venir d’étranges beaux gosses au tableau noir, à la fois loups dans la bergerie et superstars des amphis.
L’idée de reprendre ce principe avec deux zèbres plus ballots (Tatum le gros bras analphabète, Hill le sociopathe balbutiant) est séduisante, d’autant que le casting a le pedigree nécessaire pour creuser la farce – saluons Rob Riggle, second couteau le plus hilarant de la constellation SNL. Mais on navigue tout juste à vue dans ce foutoir qui lorgne à l’évidence sur Hot shots, voire sur la série des Y a-t-il… avec Leslie Nielsen. On est bien ici dans l’optique compassée du « Un gag toutes les 15 secondes ! » promise à l’époque sur les jaquettes vidéo, et on ne peut qu’imaginer Jonah Hill et ses acolytes lancés dans un délire en roue libre, enfilant les gags en écriture automatique (pour coincer les dealers, les duettistes doivent ingurgiter la came puis se faire vomir, tapez-vous les cuisses).
Même si elle fait mouche ici et là, la dérision se mord donc la queue dans 21 Jump street. A force de bouffer à tous les râteliers, les auteurs épousent les travers des modèles subvertis : on ne rit pas de la demi-douzaine de climax enchaînés en bout de course, on s’en fatigue. A l’évidence, les larrons ne recherchaient qu’un support pour leurs clowneries, n’assumant pas l’absolue gratuité de celles-ci. Dommage : le contraste entre l’adolescence gommeuse de la série et celle du film, plutôt marqué par Freaks and geeks, aurait pu resplendir – en témoigne l’immanquable cameo de Depp, spectre surgi de la télé d’antan, et dont le charisme émacié jure à merveille avec la crasse juvénile ambiante.