Dans une scène du film, Kristen Stewart lit Du côté de chez Swann. Bella Swan se regardant chez Kerouac, à travers Proust : en attendant le miroir de Blanche-Neige et le cinquième Twilight, c’est peut-être de cette image, dans le film de Walter Salles, dont on se souviendra encore le mieux. Car du départ, de l’errance, de la fièvre, de tout ce dont devait parler le film, il ne reste à peu près rien. On a les directions, les cartes, les dates, tout un tas de chiffres, trois acteurs consciencieux et glamours, manque juste l’essentiel : une ligne de fuite. On le sait, Walter Salles est intrigué par la chose révolutionnaire (cf. aussi Carnets de voyage) mais de loin. C’est en conformiste qu’il la filme, de même que c’est en sédentaire qu’il filme les nomades. En quelques décennies, les admirateurs de Kerouac seront passés par tous les états, entre un Coppola qui acheta les droits du roman en 1968, et un Joel Schumacher qui, en 2002, s’intéressa à l’affaire. Possibilité du miracle, certitude du pire, en visant au milieu on trouve Walter Salles – assurance d’un travail correct, documenté, fidèle, rien que d’inquiétant en somme pour un projet qui se doit d’être énorme ou ne doit pas être, ne supporte que l’excès et la transe.
Le premier défaut de Sur la route version Salles est d’avoir été trop écrit, d’avoir été trop pensé comme texte. Passons le découpage en périodes et localités, les flashbacks, la voix-off sanctifiée de Sal Paradise ; ce sont plus généralement des scènes qui se succèdent dans une sorte d’obédience angoissée à la littérature, coincées entre un scénario adapté et un roman inadaptable. Le film penche de partout vers l’écriture, butte sur chaque section de son script, incapable d’enchaîner deux pas. Surtout dans la première partie, on se retrouve avec un gisement inexploité de sexe, d’alcool, de routes et de jazz, on cherche une scène un minimum performative, une séquence dont on pourrait affirmer qu’elle enclenche un mouvement, ouvre une perspective, produit ou invente quelque chose. Oubliant vite les rencontres humaines, dont Salles ne fait absolument rien, on en est réduit à grappiller le reste de spontanéité, le plus petit résidu de vérité : Kirsten Dunst poussant la chansonnette, une aile de poulet qui tombe d’une fourchette, la sueur de Kristen Stewart quand elle danse, son oeil tout gris au petit matin, des pâtes trop cuites tombant d’un égouttoir.
Un sentiment, quand même assez désagréable, de faire les poubelles qui s’atténue dans la deuxième partie (quand la route se prend à quatre), les menus détails atteignant une noblesse minimum. Pêle-mêle : le vent dans les cheveux de Kristen Stewart lors d’un dépassement intrépide, la danse épileptique dans le bordel mexicain, le défilement du bitume envahissant tout l’écran sur ces mots : « la pureté de la route… », le raccord machine à écrire / route, la brume à l’arrivée de San Francisco. Si les variations d’atmosphère, soleil et pluie, valent beaucoup plus que les personnages (en particulier que le duo masculin Sal / Dean Moriarty, toujours à peu près insipide) sauvons tout de même Stewart et sa façon, plutôt amusante, de faire semblant d’en finir avec le puritanisme de la saga vampirique, de mimer le stupre tout en restant très chaste. Voilà donc pour les à-côtés. Pour ce qui est du franchissement des frontières et des limites, pour le grand voyage américain que tout le monde attendait, résumons-nous : c’est crevaison, point mort, dépanneuse.