Pour les fans, ce n’est pas le moindre des cadeaux : un panier garni de super-héros, tressé du plastique dont on fait les figurines et les rêves des petits garçons, et déposé pour eux comme une récompense au bout du chemin où, d’un blockbuster l’autre (Hulk lointainement, mais surtout Iron man, Captain america et Thor, tous prequels explicites de celui-ci) se précisait leur fantasme d’une pareille apothéose. En cela le pari était, en quelque sorte, gagné d’avance. Et pourtant, difficile de ne pas être impressionné par l’agilité avec laquelle Josh Whedon (qui fut à une autre époque le papa de Buffy contre les vampires) parvient à faire rentrer ce menu gargantuesque dans les coutures d’un film. Il le fait d’une manière aussi humble que judicieuse, qui consiste à ne jamais dépasser l’horizon narratif contenu d’emblée dans la promesse de l’affiche, soit : Hulk + Iron Man + Thor + Captain America + une poignée de seconds couteaux taillés dans le même folklore. L’intrigue neuneu (Loki, le frère shakespearo-gominé de Thor, a mis la main sur un supermachin phosphorescent et menace de détruire la planète) n’éprouve rien d’autre que cette joie purement mathématique. Cumulés, les super héros déploient leurs aptitudes en un crépitant ballet de figurines, une volte aérienne et étonnamment gracieuse (le découpage des scènes d’action, pourtant brutales, est parfaitement fluide, lisible) où vérifier toujours l’efficace de leur complémentarité. Plus qu’une équipe, les vengeurs réunis s’emboîtent en un espèce de redoutable couteau suisse narratif, un millefeuille de fonctions qui ne sont rien d’autres que celles du film en tant que produit : triomphe du cool (Iron Man) + patriotisme gentil (Captain America) + folklore mythologique (Thor) + zeste de tragique (Hulk). Un rêve de script doctor.
Cette vélocité a évidemment une contrepartie. C’est que, ramassant en gimmicks les enjeux que les précédents films avaient patiemment dessinés pour les personnages (dilemmes, névroses, traumas), le film perd à peu près tout de leur relative profondeur. D’autant que la nature même du récit (la constitution d’une super armée clandestine pour sauver la planète) invite à lisser, un à un, tous les clivages qui faisaient jusque-là le sel du genre. Pour efficace qu’elle est, on ne peut que regretter cette direction, que le film prend en son milieu. Parce que celui-ci fait d’abord une hypothèse autre, celle d’un remake ogre des Douze salopards : diversement tarées, toutes ingérables, les figurines se réunissent d’abord en un dangereux congrès de névropathes, une armée de sauveurs d’autant moins rassurants qu’ils s’avancent tous comme des monstres. Aiguisé par dix ans de franchises Marvel, ce programme pourtant sera vite maté par une nécessité supérieure.
Le trajet du personnage de Hulk (ici Mark Ruffalo, vraiment parfait) est on ne peut plus révélateur, image d’une force facilement convertie de pure menace (Bruce Banner qui évite les émotions fortes, surveille la couture de son jean parce que, déchainé, il s’en prendrait au reste de l’équipe) en outil docile de stratégie militaire. La conversion, même pas interrogée par le film, répond à l’appel d’une nécessité qui traverse The Avengers mais s’annonçait dès Iron man, et situe très précisément le film au terme d’une décennie dont on sait combien, pour l’Amérique, pour Hollywood, elle fut problématique. Il ne faut pas se forcer beaucoup pour y penser : le film se clôt à Manhattan, au milieu d’une ahurissante baston générale qui fait tomber les tours comme des dominos. Sauf une, la tour Stark, repère d’Iron Man et surtout emblème d’une puissance retrouvée de l’Amérique. Un missile lancé contre la tour, et dévié finalement in extremis, achève de rendre limpide une séquence qui, pour les plus amnésiques, se clôt tout bonnement sur l’image de New-yorkais déposant des cierges sur le champ de bataille. Ils n’avaient pourtant pas besoin de se déranger : le deuil dont il est véritablement question ici, le film l’a pris en charge plus qu’aucun autre avant lui, avec le souffle libérateur d’une page d’histoire enfin tournée pour de bon. Loki non plus, d’ailleurs, n’avait pas besoin de faire le déplacement. Le véritable super vilain était déjà mort au début du film : le capitaine Amérique l’avait débusqué tout juste un an plus tôt, dans une forteresse d’Abbottabad.