Spielberg aurait-il pour de bon tiré un trait sur la noirceur de ses années 2000 ? Comme Tintin avant lui, Cheval de guerre préfère brouiller les pistes même s’il semble, a priori, opérer une marche arrière vers les 80’s. Tintin puisait déjà dans la mobilité et le rythme hérités des Indiana Jones pour raviver le mythe d’Hergé ; Cheval de guerre, lui, préfère le mélodrame et le conte initiatique, deux autres fondamentaux de la rhétorique spielbergienne. Venu de la littérature jeunesse, déjà adapté avec succès à Broadway, Cheval de guerre conte l’amitié fusionnelle d’un jeune fermier anglais et de son cheval, à l’aube de la Première Guerre mondiale. Réquisitionné pour l’effort de guerre britannique, le cheval est envoyé au front, recueilli un temps par une famille française, puis capturé par l’armée allemande, avant de retrouver enfin son propriétaire au beau milieu des tranchées et de rebrousser chemin avec lui vers un foyer qui n’a jamais cessé, chez Spielberg, d’être l’horizon de tous les trajets. Forcément, un tel pitch fait peur, et l’ouverture, d’ailleurs, laisse augurer le pire : l’extrême artificialité de son décor de champs et de chaumières hésite, assez confusément, entre pastorale classique et Comté du Seigneur des anneaux. Théâtralisation un brin forcée, toute-puissance du carton-pâte, absolu premier degré : ce havre bucolique revenu de la Mélodie du bonheur, décidément, n’aide pas à dissiper les craintes.
Heureusement, au-delà de ses coquetteries rétro, ce confinement fantaisiste n’est qu’un leurre, le reste du film, nettement plus fougueux, laissant un immense champ libre à Spielberg pour réaffirmer, en quelques scènes d’action sidérantes (une hallucinante charge de cavalerie), sa position inébranlable de metteur en scène du chaos. Aux antipodes des hécatombes d’Il faut sauver le soldat Ryan, Cheval de guerre se soumet à son impératif grand public avec un sens parfait de l’abstraction (le montage est remarquable) et de la retenue. La guerre ne se lit plus dans le décharnement des corps et de l’image, mais dans l’écho, toute aussi bouleversant, de la perte initiale : la séparation entre cheval et enfant, jouant le cache métaphorique d’une horreur hors-champ. Comme Tintin, le cheval de Spielberg court inlassablement après une ligne invisible, segmentée en plusieurs paliers symboliques. Fable à la naïveté illusoire, Cheval de guerre n’a pourtant rien d’un Crin blanc moderne, ni d’un quelconque blockbuster animalier. Son icône chevaline n’aura finalement d’autre rôle que celui d’un catalyseur, miroir plus ou moins efficace (la partie française avec Niels Arestrup est quand même un peu ratée) de fragments humanistes préservés de la guerre, croisés sur sa route. Cette course est d’autant plus saisissante qu’elle redessine aussi le parcours Spielberg lui-même, lequel, plus ou moins consciemment, remet en scène une grand partie des motifs de sa filmo : conte moral (La Couleur pourpre), abandon (A.I. et beaucoup d’autres), chaos des sensations et champ aveugle de l’horreur (la vue en bas d’une colline, comme dans La Guerre des mondes), démission des pères (tous ses films). Par cette somme des parties maîtresses de l’oeuvre, Cheval de guerre fait mieux que s’offrir comme une visite au musée, chaque jalon trouvant la cohérence et le liant romanesque d’une grande épopée synthétique. Il se conclut sur la flamboyance d’un coucher de soleil fordien, mythe surplombant tous les autres (l’imagerie de la pastorale lorgne clairement du côté de L’Homme tranquille, déjà cité par Spielberg dans E.T.) avec la plus belle des candeurs.