Dans le royaume de la « dance-sur-Internet », les trends filent à une telle cadence que la pérennité de Hans-Peter Lindstrøm ressemble à un miracle. Précurseur involontaire d’un des mouvements les plus importants de ces dernières années (le néo cosmic disco à barbe) et auteur du plus beau hit de dancefloor du genre (I feel space), le Norvégien a contrecarré toutes les conventions de l’impitoyable néo-darwinisme médiatique en jouant en mode mineur tous les jokers (discrétion, indépendance, tête froide, choix de carrière insolites).
Surtout, son oeuvre s’est progressivement engoncé dans ses extravagances pour de moins en moins ressembler à celle de ses suiveurs mous (de Sorcerer à Low Motion Disco, on en a bien heureusement oublié les deux tiers) et de plus en plus à celle d’un auteur, avec ses obsessions, ses excès et ses zones d’ombre. Quitte à perdre les hipsters : à ce jour, la compilation de ses premiers maxis It’s a feedelity affair reste bien plus estimée dans les clubs et les salons que sa baleine blanche Where you go I go too (pourtant l’un des plus beaux albums des années 2000) ou sa tentative pop avec la chanteuse Christabelle. Mais pour le meilleur ou pour le pire de son compte en banque, Hans-Peter a fait bien mieux que prolonger l’été indien : il s’est inventé son propre psychédélisme, plus influencé par Moroder, le jazz-rock et les Bee Gees que le Grateful Dead ou les Soft Boys. Et l’on réalise que le projet était de longue haleine : pour son deuxième LP solo seulement en dix ans de carrière, il ressuscite un vieux pseudonyme et accouche d’un monstre hyper hétérogène en forme de vortex qui évoque l’informe bataillien bien plus qu’une forme inédite, même très évoluée, de dance music.
Annoncé par une ouverture ascensionnelle très « larger than life » (et apparemment inspirée par Jon Lord de Deep Purple), Six cups of rebel impose son nouveau programme esthétique : plutôt que la ligne claire, le chiendent ; plutôt que l’autoroute linéaire, le maelstrom. Et c’est aussi éreintant qu’éblouissant. Pourtant déroulées en boucles, ces sept odyssées en étages enchaînent les prodiges mais ne laissent aucun groove, aucune mélodie se stabiliser suffisamment longtemps pour que la mémoire immédiate puisse bâtir quelque chose à l’usage de l’entendement. Pris dans le tourbillon, on reconnaît bien sûr quelques fragments éclatés d’obsessions intimes du Norvégien (Tom Tom Club, Quando Quango, XTC, toujours les vieilles scies italo disco) mais dans l’ensemble, l’ADN de cette musique gigote trop, trop vite, pour qu’on puisse identifier sinon une intention, un désir musical. C’est presque comme si Lindstrøm avait pris les paradigmes de l’époque (la vitesse, l’information overload) et essayé de les figurer littéralement sur une grande toile de temps. De fait, si Six cups of rebel a un précédent (et un modèle ?), c’est le génial doublon Black Album / Lovesexy de Prince, qui est à la fois le pinacle de son effervescence créative et son plus sévère moment de crise. De manière assez troublante, les parallèles entre Six cups of rebel et les deux bessons malades de Prince abondent : densité sonore délirante, goût pour les voix travesties, architectures gigognes et contrepoints mélodiques très compliqués à tous les virages. Où en est Hans-Peter ? Le futur nous dira si, en 2012, il ambitionnait effectivement de révolutionner la dance music, ou s’il était au bord du burnout. D’ores et déjà, Six cups of rebel est un grand truc malade.