Si Guillaume Canet a su faire oeuvre en passant d’un côté à l’autre de la caméra (Les Petits mouchoirs, son opus magnum, est encore gravé dans les mémoires), pourquoi pas Mélanie Laurent ? Qu’importe si les professionnels du mauvais esprit crient, comme d’habitude, au caprice artistique, Mélanie concrétise sa vision, et c’est bien son droit. D’autant qu’en cette période faste pour le cinéma français, il semble y avoir de la place pour tout le monde, Guédiguian, Polisse et Intouchab’ cohabitant joyeusement au programme des multiplexes. L’égérie Laurent, actrice et icône folk à mi-temps, est donc décidée à s’imposer, elle aussi, parmi les cinéastes de coeur des Français. Et pour son entrée dans le septième art, elle mise sur la dégaine blasée et jemenfoutiste qui avait déjà fait le succès de son jeu, en livrant une tragicomédie garantie sans prise de tête.
Le moteur de ce film accablant de vacuité et écrit en trois actes avec les pieds ? Un gentil trio formé par deux sœurs complices, Marine et Lisa, et par le nouveau petit ami de Marine (Denis Ménochet, le M. Lapadite que Laurent ramène d’Inglourious basterds). Celui-ci fait de l’ombre à Lisa, mais c’est un mec bien, dommage que patatras, Marine tombe dans le coma. Chacun a droit à son chapitre attitré, pendant lequel les autres existent autant que des ectoplasmes. C’est sans doute mieux comme ça, d’ailleurs, parce que quand Laurent tente de brosser un portrait, elle trouve du pétrole : tous les bons tuyaux du manuel type à l’usage du parfait scénariste sont appliqués à la lettre. Tout est là, du sidekick vaudevillesque déboulant pour débiter un laïus rigolo, jusqu’aux clichés facilement identifiables pour la France d’en bas – mention spéciale à Clémentine Célarié, inoubliable ici en matrone jouisseuse et franche du collier, qui briefe sa fille sur les hommes et le cul en sirotant un verre de moelleux. Zéro complexe.
Mais ne nous lamentons pas plus sur le fond ou la forme de ce ratage, parce qu’il est de toute façon moins troublant comme oeuvre que comme symptôme. Il y a tout de même de quoi s’inquiéter un peu de la propagation de ce cinéma « pop » (certains diront « postmoderne », allons-y pour « popstmoderne », tiens), apparemment convaincu qu’il se rapproche de son public en diluant la réalité quotidienne dans un potage au lyrisme, rythmé par des ballades geignardes et des flash-back mignons ompilant les petits riens de la vie en accéléré, façon Bref. On a l’impression d’être dans la version bradée du cinéma de Donzelli, et d’ailleurs le film partage beaucoup de motifs avec La Guerre est déclarée : même début d’idylle caoutchouteuse, entravée par un coup du sort gravissime qui prend le spectateur en otage (on passe d’ailleurs d’un premier enjeu – la sororité fusionnelle – à un autre – le deuil – si bien que le film ne raconte finalement rien) ; même médecin cadavérique qui annonce les mauvaises nouvelles. Une nuance, ceci dit : quand Donzelli arrivait, par endroits, à rendre son film drôle et pathétique à la fois, on se coltine ici une politique du tout noir et du tout blanc, la romance kikoolol se travestissant d’un seul coup en tire-larmes adipeux. De la condition humaine comprise comme alternance niaise entre pluie et beau temps : venant d’un film qui entendait déployer la complexité des sentiments, on pouvait espérer quelque chose de plus nuancé.