Le paradoxe de Dance central 2, c’est qu’il est impossible d’y jouer à la manière d’un bon danseur. Il est impossible d’y affirmer sa souveraineté dans le mouvement, son harmonie avec la légèreté et le presto de la musique. Il faut en fait y jouer à la manière d’un bon joueur, c’est-à-dire éprouver la rigidité mécanique du jeu selon la logique du score. Kinect oblige, cette épreuve est une épreuve du corps. Entièrement scruté, capté et projeté à l’écran, le corps du joueur est mis à plat, destiné à assumer un total mimétisme avec l’image. Il est désormais copie de copie. Le moindre écart, d’un bras ou d’une jambe y est sanctionné, non selon une logique esthétique (de la danse), mais en tant que différence avec le modèle, selon une éthique de l’indifférence.
Quoi de neuf à tout cela ? Il a toujours été affaire de mimesis avec le jeu – au moins depuis Platon, le monde ludique est perçu comme reflet du réel. Mais il a toujours aussi été le propre du jeu, et spécialement de toutes les machines à scorer, que de dépasser cette lourdeur des actions répétitives, et faire qu’advienne de la pratique du jeu une forme de légèreté. C’est ainsi que le joueur parvient à composer avec sa palette de mouvements et de tirs pour créer ses propres motifs dans le shoot’em-up. Que dans Dance dance revolution, une forme d’appropriation du corps se crée dans la frénésie des pas. Ou encore, que dans Guitar hero, l’essentiel est non seulement de scorer, mais aussi de sentir la pure ivresse d’un solo de guitare. Mais dans Dance central 2, une telle forme de dépassement au sein du jeu est impossible. La légèreté et l’ivresse de se sentir rien que soi dans le jeu sont absentes, et même déniées. Lorsqu’entre deux enchaînements, la propre image du joueur, pauvre et sans fard, surgit à même l’écran, c’est un vertigineux passage d’un vide à l’autre qui s’opère, de l’exigence de la copie à l’absence de toute représentation.
En vérité, Dance central 2 ne fait pas disparaître purement le léger du lourd; il lui substitue le ridicule, c’est-à-dire qu’il est un jeu ridiculement sérieux, ou sérieusement ridicule. Il traduit de façon exemplaire la vérité fondamentale du Kinect : en faisant disparaître tout intermédiaire entre soi et l’image, il n’y est plus question que de regard sur soi. Aussi, le jeu offre ce que l’on pouvait, après le premier épisode et selon toute logique, fantasmer : la présence de l’autre. Accompagné d’un autre qui danse à ses côtés, l’être du joueur peut embrasser un devenir de boys band, cette forme de corps musical vidé de sa substance, destiné à n’être qu’un objet en regard, lisse et bêtement jouissif. Par cette complicité, l’expérience collective du ridicule est enfin totale, en parfaite adéquation avec une playlist impitoyable (Venus de Bananarama, Mai-ah-hee d’O-zone, jusqu’au Somebody to love de Justin Bieber…). Aux hourras de la foule virtuelle font écho, dans nos salons, les rires des amis. Ils jouent à se jouer d’eux-mêmes, non dupes d’être dupes. En définitive, Dance central 2 est un grand jeu de son époque.