L’enfance, encore et toujours au cœur des préoccupations du cinéma iranien ! Troisième film de Majid Majidi, Les Enfants du ciel peuvent figurer parmi les plus belles œuvres traitant ce thème, des débuts d’Abbas Kiarostami aux expérimentations d’Abolfazl Jalili. Cette quasi-omniprésence des enfants dans le cinéma iranien, pour surprenante qu’elle puisse paraître a priori, s’élucide au regard d’événements plutôt concrets : les aides financières apportées par le puissant Institut pour le développement intellectuel des enfants et des adolescents. Ne dérogeant pas à la règle, Les Enfants du ciel ont pu voir le jour grâce à cet organisme qui nourrit au propre comme au figuré les ambitions artistiques des cinéastes de son pays.
Après Le Père, qui contait les rapports conflictuels d’un garçon avec son beau-père, Majid Majidi met cette fois en place un micro-événement dont il ausculte les répercussions tragicomiques. En récupérant les chaussures de sa sœur chez le cordonnier, Ali se les fait dérober. Issu d’une famille pauvre, il devra alors partager avec sa cadette ses baskets déjà bien usées. Toute l’ingéniosité du cinéaste tient à la mise en place d’un système dramatique implacable autour de ce fait divers anodin. La paire de chaussures commune implique de la part des deux enfants l’invention d’un stratagème aussi malicieux qu’épuisant : Zahra qui va en cours le matin doit courir apporter les baskets à Ali qui en a besoin pour aller à l’école l’après-midi. Comme dans Où est la maison de mon ami ? de Kiarostami, les enfants se trouvent ainsi pris au piège de situations dont la résolution logique échappe aux adultes. Chez Kiarostami, ceux-ci ne cessent d’entraver le parcours du garçon pour ramener le cahier à son ami ; ici, Ali manque de se faire renvoyer de l’école à cause des multiples retards qu’occasionne l’attente des chaussures. Les deux films fonctionnent sur le même principe d’aliénation des enfants soumis à la terrible pression de circonstances qui leur sont extérieures : en l’occurrence, l’extrême pauvreté de la famille d’Ali et Zahra. Destiné avant tout au jeune public, le film ne s’appesantit pas sur la misère sociale des héros mais au contraire tente d’optimiser le dispositif de départ par l’évocation de sentiments humains qui confèrent dignité et sympathie aux protagonistes. On oubliera alors quelques scènes, comme la course filmée avec des effets de style exagérés, pour profiter de l’extrême délicatesse du regard que le cinéaste pose sur ses jeunes héros.