Les films de John Carpenter reviennent. Ils ont gardé leurs titres, leurs trames, leurs personnages, et pourtant ils ne sont plus du tout les mêmes. D’autres les signent : Jean-François Richet réalise Assaut (2005), Rupert Wainwright réalise The Fog (2005), Rob Zombie réalise Halloween (2007), Matthijs van Heijningen Jr. réalise The Thing. On ignore qui filmera They live et Escape from New York, d’ores et déjà en projet. Une filmographie du maître se reconstitue à mesure que ces doubles éclosent, une intégrale bis qui serait la sienne mais dont il ne serait pas l’auteur, le body snatching en règle d’une oeuvre qu’on sait hantée depuis toujours par le film de Siegel (Invasion of the body snatchers, 1956). Pas de risque cependant que ces récentes versions fassent oublier les chefs-d’oeuvre qu’ils recomposent, malgré deux puissants coups d’éclats (Richet et Zombie).
The Thing est le remake de son prédécesseur – lequel succédait déjà à la version de Christian Nyby et Howard Hawks -, mais aussi son prequel. En Antarctique, une poignée de scientifiques découvre un ovni enfoui sous la banquise, ainsi que le corps tout à fait informe de son pilote. Ils découpent la glace tout autour de la bête et emportent avec eux jusqu’à leur station, le bloc gelé. Entreposée dans une remise, la bestiole qui n’était pas morte, juste endormie, fait éclater sa gangue et disparaît. Comme dans le film de Siegel, elle tue les hommes pour leurs substituer de parfaites imitations. Toute la question sera alors de savoir qui est humain, qui ne l’est pas, qui est original qui est réplique – ou pour ainsi dire remake.
Aussi discret que tourmenté, le nouveau The Thing semble pris entre le devoir de ne pas trahir l’original, et le regret de ne pouvoir exister comme film à part entière. A la différence d’un Rob Zombie qui n’hésite jamais à fouler le matériau d’origine à pleine botte, à l’aplatir, le bigorner pour lui donner la forme qu’il désire, Heijningen marche avec précaution sur les pas du film de Carpenter, craignant maladivement l’écart fatal. Ce remake a la force vide du body snatcher, sa puissance d’imitation, son don de la vraisemblance (la petite communauté de scientifiques, par exemple, est à l’instar de celle de Carpenter dépeinte avec un vrai sens du détail). Mais du double, le film a aussi le manque de substance et son absence de tripes. Le fait est connu : la copie ne tient jamais longtemps, finit toujours par se déchirer et révéler son vide intérieur. Comme s’il partait vaincu, The Thing version 2011 ajoute au motif de la duplication (inauguré par Carpenter) celui de la division et de la cassure. Lugubre, dépressif, le film se regarde lui-même s’ouvrir en deux depuis la brusque ouverture d’une crevasse (d’où surgit l’écran-titre, comme un programme du film à venir), jusqu’aux déchirements des figures, ces visages et corps cassés sur la longueur, fendus par le milieu d’où surgit la Chose sans forme.
Le film d’Heijningen est obsédé par la structure, celle qu’il n’a pas, celle qu’il doit toujours se réinventer à partir de rien, de « ça », de cette chose sans nom. Menacé par le monstre copiste, chacun des personnages court le risque de naître une seconde fois : très belle scène de dissection, peut-être plus touchante encore que celle du film de Carpenter, où l’on distingue, à travers la paroi d’une matrice, la forme totalement achevée d’un homme adulte. C’est en outre sous le terme de « structure » qu’est au préalable évoqué l’ovni, devant une scientifique qui, ignorant tout de l’affaire, s’étonne d’abord que l’on puisse trouver une quelconque structure en Antarctique. L’étendue neigeuse, l’uniformité des paysages évoquent le vide structurel du body snatcher, et plus généralement celui de tout formatage, de toute normalisation – dont le remake d’Heijningen, avec une lucidité morbide, se fait lui-même la victime. Outre dans l’agaçante résignation du film à faire bien mais à ne rien faire d’autre, la normalisation se ressent dans toutes les scènes de traque, dans les attaques frontales où la Chose dévoile un numérique des plus aseptisés, pathétique et peu subtile agitation de dards empale-poitrine tuant sur le coup, vite et propre, permettant l’économie d’une métamorphose.
Or c’est précisément dans les scènes de crises que The Thing récupère tous ses points, dans ces mutations où l’humain persiste – comme forme mais aussi comme voix, concert de râles fatigués, cris sans puissance émergés d’agrégats de tumeurs arachnéennes, d’abcès canins. Ici le film inquiète, trouble. On le sent chercher à suspendre son moment authentique, cet instant où les figurines se coupent en deux, où la copie se déchire. Quelques secondes pendant lesquelles il cesse d’imiter mais cache encore un peu le néant qu’il renferme.