A la fin du concert qu’Emeralds a donné en ouverture de Villette Sonique en mai dernier, on avait assisté à un geste étrange. Au moment de quitter la scène, alors que John Elliott et Steve Hauschildt, après avoir passé l’intégralité du set le nez dans leurs synthés, se retiraient sans jeter de regard en arrière, dans la bonne posture nerd que l’on attend d’eux, Mark McGuire soufflait depuis sa main quelques baisers au public. Le geste, déjà passablement ridicule en soi (c’est qu’il en charrie, des clichés dont on ne veut plus : l’égo boursouflé de l’artiste, la relation d’amour / haine / identification entre lui et son public dévoué, gnagnagna) avait de quoi faire ricaner de la part d’un groupe somme toute confidentiel, et plus encore quand il vient d’un seul de ses membres, ce jour-là bizarrement désolidarisé des deux autres. Qu’on nous comprenne bien : loin de nous l’idée de penser que la gloire donne des droits à l’egotrip. Mais l’écart entre l’échelle de reconnaissance du groupe et la soudaine bouffée « égonarcissocentrique » de McGuire laissait diagnostiquer une pente mégalo assez flippante chez ce dernier.
Et pour cause, cet album confirme absolument la tendance. McGuire s’éloigne du surplace malade de ses tamis synthétiques zébrés d’improvisations au profit d’une sorte de dream pop en quête d’accents épiques tout cheesy. Est-ce la faute à ses sons de synthèse faciles, à son looper foufou en roue libre, à son picking mièvre ? Get lost a quelque chose d’horriblement automatique, comme s’il avait délibérément été écrit en mode majeur, sans répondre à aucune nécessité mais plutôt à un désir bizarre de grandeur et d’ambition qui tient plus du calcul que du viscéral. Comme si McGuire se prenait désormais pour le Phil Collins du synth underground. Il y a, dans l’imagerie forestière qui accompagne cet album et ses titres (Firefly constellations, When you’re somewhere, Chances are), dans ses sonorités (le souffle du vent dans When you’re somewhere, des vocalises diaphanes un peu partout), quelque chose qui fait signe du côté de la grande métaphysique américaine, de William Cullen Bryant à Thoreau, Emerson, Frederic Church ou Albert Bierstadt : goût pour la démesure, sentiment souverain d’une nature infuse au cœur de toute chose, légèreté hypnagogique des timbres et des textures. Mais ces références et ce romantisme dissimulent mal la part frelatée de cette musique, sa dimension anachronique au mieux, totalement factice et empruntée au pire.
On l’entend à des signes fort limpides. Primo, les entrelacs très denses et répétitifs de nappes cheloues laissent désormais la place à des grilles d’accords désolantes de banalité, type Hanson meets death cab for cutie, ou pas loin, enchaînées sur des schémas de crescendos hyper attendus. Résultat, les morceaux ressemblent à un folk miteux pour radio FM diffusée dans un Wallmart de l’Oregon. Deuzio, une ligne de glitch fracturé bidouillée à la va-vite sous Max / MSP parcourt tout le disque et lui donne une caution électronique pour pas cher. Débitée sur le même motif rythmique tout au long des six morceaux de ce disque, elle dénonce immédiatement la supercherie : le traitement sonore, au lieu d’être un espace d’invention, d’inouï, de surgissement, se transforme en tampon soigneusement appliqué, en estampille : affreux. Et terzio, d’interminables soli du pauvre, nimbés d’une distorsion toute égale chaque fois qu’elle intervient, soutiennent une guitare acoustique jouée sans nuance ni toucher. Tout cela est très cheap, de peu d’imagination, de peu de culture, de peu de recherche, tandis que les précédents disques ont, au contraire, parfaitement assimilé leurs héritage, de Rudnik à Riley en passant par Sharrock. La beauté tremblante, endommagée et crachoteuse d’Emeralds semble envolée bien loin et derrière le feelfgood folk électronique de McGuire, on entend surtout les gestes musicaux les plus tartignoles, les réflexes les plus éculés. Hop, poubelle en attendant un autre LP qui, de toute façon, sortira probablement dans deux mois.