Depuis Susan a un plan (1998), émouvante prise de tension de quelques stars eighties oubliées, John Landis n’avait rien tourné pour le cinéma. Le cadre choisi pour son nouveau film est loin d’être neutre : le cinéaste revient en Angleterre, trente ans après ce qui restera peut-être son meilleur film, Le Loup-garou de Londres. On espère donc, dès les premières mesures de cornemuse, un retour aux sources du meilleur de son cinéma, entre scènes de terreur et comédie potache, pur sens du rythme et logique du rêve. Et puis l’argument séduit : au XIXe siècle, deux tristes sires, Burke et Hare, tuent les passants pour vendre les cadavres aux praticiens chercheurs.
Une première scène d’exécution publique frappe tout de suite par l’aisance de la mise en scène, la classe supérieure des décors et costumes, le soin du détail, la véracité des figurants. Les pièces de bois sont rustiques, le pavé patiné, le bourreau bien gras, la condamnée très laide. On sent que Landis cherche à redonner au spectateur cette assurance très années 80 qu’on lui montrera du vrai, du dur – en un mot, du corps – , qu’il y a là une manière de repli vers la vérité de la matière, les lignes franches des contours, la pleine présence des corps, vers cet âge anté-numérique qui, du Loup-garou de Londres au clip de Thriller, lui donna son heure de gloire. Faire surgir de la peau d’un homme le pelage d’un loup, décrire les déchirements douloureux de la matière, donner à voir la mécanique des substances et des mouvements (danses ou métamorphoses), là semble se jouer toute la vocation du cinéaste, dont la seule incartade du côté du numérique reste le clip puissant de Black or white.
Landis nous revient donc avec ce Cadavres à la pelle obsédé par les corps, des corps pesants qui véritablement ne prennent forme qu’en devenant de purs objets (le corps d’un vieillard sorti d’un tonneau, plié en deux, qu’il s’agira de redresser, d’autres que l’on croyait morts et qui se réveillent brusquement – ou pour tous les personnages, cette propension à s’évanouir, à tomber, à s’effondrer d’un coup). Landis s’amuse beaucoup, d’un plaisir très enfantin, très régressif, avec ses mannequins en plastique qu’il contorsionne, fait grouiller de larves, retentir de craquements et glouglous malpropres. Le retour du corps, dans Cadavres à la pelle, c’est aussi l’allure grivoise que le film se donne parfois (Hare et sa femme trouvent dans la seule évocation de ce petit commerce de cadavres un puissant aphrodisiaque) ; c’est encore l’humour gras, une certaine vulgarité dont Landis, scatologue peu finaud, ne s’est jamais défait ; ou le surgissement de tout ce qui pue, salit et souille, comme autant de rappels à l’image de la consistance matérielle des corps et du monde.
Seulement voilà, et c’est assez triste à dire : si sincère et sympathique soit-il, le retour de John Landis n’a rien d’un retour en force, loin de là. La peur est absente et les gags, pourtant macabres, ne sont ni bons ni mauvais, tout juste bon enfant. A cet égard, Cadavres à la pelle ressemble à une vieille production Disney, inoffensive et désuète, sorte de Coccinelle à Monte-Carlo avec cadavres et sans voitures, défilé de personnages insipides à peine sauvés par l’outrance d’un phrasé, ou le baroque d’une trogne. Loin de retrouver le fin mélange des genres qui faisait la richesse de certains de ses films, Landis livre une comédie enfantine et simplette. Gageons que les quelques signes de bonne santé disséminés ici ou là sont la promesse de vraies retrouvailles.