Chassé-croisé des amours à Venise, d’après un roman de Djian : on n’est pas surpris de retrouver Téchiné sur ce terrain-là, mais on se demande bien où mènent les tribulations sentimentales de ses protagonistes. Ces derniers, pourtant, présentent un bagout certain : soit Dussolier en romancier au charme barbu, sorte d’Hemingway vieillissant mais faussement solitaire, flanqué de Carole Bouquet en agent immobilier un peu reine des cougars malgré elle, et dont il ne tarde pas à s’enticher. Transposant les intrigues de ses polars dans la réalité, le vieux loup engage une voisine de son îlot vénitien pour filer la belle Carole, incorrigible jaloux qu’il est. Pour compliquer encore la donne, le fils tête brulée de la détective s’immisce dans l’équation et s’intéresse de trop près à la femme du client.
Une fois identifié ce qui tenaille Téchiné (rejaillissement des passions enfouies, affects de la maturité, divagations amoureuses), le marivaudage s’enraye progressivement, égaré entre chaque portrait, sans qu’une cohérence puisse trouver son chemin. Les comportements deviennent même indéchiffrables, et l’on soupçonne l’auteur de flâner indolemment d’une idée à une autre – manifestement, le jeune détective teigneux l’intéresse (surtout dans sa confrontation avec Dussolier, dont il incarne habilement le rival, en même temps que la projection fantasmatique), mais il peine à lui donner l’ampleur romanesque des autres personnages, et surtout, à faire apparaître sa logique. Il semble que le sujet fondamental d’Impardonnables, d’ailleurs, se trouve dans l’inexplicable, dans l’absurdité piteuse de certains comportements et de certaines humeurs romantiques. Comme s’il s’agissait de se demander précisément de quoi, après tout, chacun de ces pauvres diables tombent amoureux (d’une jeunesse perdue peut-être, d’une seconde chance, du défi que représente une conquête…). Mais l’argument reste mince, et les cœurs s’embrument au point que le film finit par disparaître de l’horizon.
Et puis il y a cette imagerie vénitienne en demi-teinte, belle par endroits et détachée des clichés du genre, mais justement trop discrète pour incarner un véritable motif : à croire que Téchiné ne cherche pas vraiment à filmer la ville et sa région, mais s’en sert comme support de légitimation, espérant secrètement profiter de l’aura inquiète que lui donna Visconti. La comparaison s’arrête bien sûr au décor, et on aurait tort de chercher l’enjeu d’Impardonnables dans une quelconque filiation avec les grands filmeurs de Venise. On parie plutôt que Téchiné s’offre ici sa ballade romanesque privée, son badinage nostalgique et intime, un peu trop d’ailleurs pour le rendre véritablement contagieux.