Il était entendu que l’affaire Raddad finirait par être portée à l’écran, comme il pouvait sembler logique que Rachid Bouchareb fasse main basse sur le script. Prophétie guère réjouissante, étant donné le souvenir d’Indigènes, de son esthétique simili-Hollywood et de la superficialité rhétorique (pour tordre les clichés négatifs sur l’immigration, troquez-les contre de jolies images d’Epinal) couverte par sa pêche aux vérités historiques.
Sans surprises donc, Omar m’a tuer n’a pour raison d’être que son combat. Difficile d’identifier la moindre vision, tant chaque image n’a d’autre ambition que la « reconstitution » – mythe résolument coriace – des événements. Que peut-on bien faire d’un puzzle complété d’avance, sinon passer en revue ses pièces, toutes vernies d’un réalisme estampillé « plus vrai que nature » ? Roschdy Zem affiche clairement son objectif : renouveler la lutte narrée à l’intérieur du film, celle de l’intellectuel Jean-Marie Rouart, dont l’essai avait secoué l’opinion publique ; le but étant cette fois d’obtenir la comparaison d’ADN qui permettra d’innocenter Raddad. Un regard de militant bien légitime, mais qui se voudrait en même temps regard d’auteur impartial, de peintre du réel dévoué uniquement à son art (Zem déclare dans le dossier de presse vouloir raconter une histoire avant tout, en se forgeant son propre avis, sans négliger l’éventualité d’une culpabilité). Incompatibilité criante des ambitions : engagé sans se l’avouer et critique sans adopter de point de vue, le film n’est finalement rien du tout. Sauf peut-être un docu-drama d’inspiration télévisuelle, gorgé de pathos, dont la filiation ne remonte pas tant à Zola qu’à Christophe Hondelatte.
Reste la volonté plutôt mal à propos de changer Raddad en martyr moderne, de l’immortaliser aux côtés de Dreyfus et Jean Calas. Le film se clôt d’ailleurs sur le visage interdit du véritable Omar, cristallisant cet acharnement de la mauvaise fiction à se légitimer sur le dos de la réalité. Alors, bien sûr, ce petit sacrement iconographique est mis en oeuvre pour que justice soit faite ; on lui reconnaît donc le mérite un peu absurde de l’existence. D’autant qu’il rappelle simultanément deux urgences : d’abord celle de rouvrir un dossier injustement classé, ensuite celle d’en finir avec ce cinéma mémoriel, dont les grandes causes excusent mal le simplisme et la médiocrité.