Difficile a priori de voir autre chose en James Wan qu’un énième opportuniste du gore, devenu tristement célèbre pour avoir été l’instigateur de la vague torture porn, genre-baudruche qui n’en finit pas d’agoniser (sérieusement : qui a vu le septième Saw ?). L’homme a pourtant une autre manie, plus discrète, qui tient dans l’envie de raviver certaines subcultures éteintes. Après sa réactivation du vigilante (l’étrange Death sentence), c’est maintenant au tour du film de poltergeists, modèle tout aussi élimé. Vendu comme l’alliance du créateur de Saw et du réalisateur de Paranormal activity (ici producteur), cet Insidious faisait redouter une potentielle esbroufe masquée derrière ses ambitions synergiques.
Mais tout compte fait, le film fonctionne davantage comme un heureux paradoxe de retour aux sources : avec son pitch ultra-balisé (un foyer familial hanté par des revenants, suite au coma de l’un des enfants), le film déploie un classicisme 80-90’s assez prenant, en hommage à ses maîtres. Tout ici semble relever d’une relecture vintage du genre de l’horreur psychologique, où Tobe Hooper et Kubrick se voient invoqués sans distinction. Plans séquences en steadycam pour couloirs exigus, effets de manche optiques et sonores, panoramiques en enfilade qui jouent avec des hors champs trompeurs : le cahier des charges, très discipliné, assure le spectacle. Car dans le pur registre de l’effroi, Insidious est efficace, redoutable parfois lorsqu’il s’agit d’enchainer sans ciller les emballements de tension. Dommage que cette application devienne rapidement une limite. Non pas dans son plaisir puéril à torturer les nerfs, mais davantage dans sa prévisibilité (le même protocole se rejoue ad nauseam : pano gauche, pano droite, retour au centre puis pano gauche rapide sur un monstre), qui révèle fatidiquement ses ficelles, devance ses combines de diable sauteur.
Comme s’il était conscient de ces limites, le film dérive, dans sa deuxième moitié, vers des envolées plus ésotériques. Plus propice à libérer les vieux démons expérimentaux de Wan (le folklore gothique SM déjà ridicule dans Saw), cette saillie mystico-punk – dont Rob Zombie s’accommodait mieux avec sa Maison des 1000 morts – épuise malencontreusement le film, comme orphelin de son embardée initiale. A chercher l’alliage parfait entre cinéphilie de l’horreur et decorum grand guignol, Insidious perd son équilibre et manque, de peu, de s’achever comme un bête freak show.
Pour autant, le film de Wan ne saurait non plus être réduit à une boursouflure d’opérette, ne serait-ce que pour sa foi inoxydable en son imaginaire. Exit pseudo-réflexions sur notre masochisme voyeuriste en mal de pornographie gore, Wan semble s’être assagi de toute revendication conceptuelle. Seule semble compter la fameuse suspension of disbelief devant le surnaturel, sa prouesse à faire de chaque situation invraisemblable un fait parfaitement crédible. On retiendra ainsi une scène d’exorcisme particulièrement barrée, menée par une mamie équipée d’un masque à gaz, proférant des incantations incompréhensibles, alors que tournent autour d’elle deux ghostbusters équipés d’appareils photo à sensibilité magnétique et autre gadgets. C’est dans son talent de bonimenteur (on en revient toujours à la jouissance foraine), sa capacité à mélanger la ringardise d’une Madame Irma (en droite lignée d’un Sam Raimi) au ton décalé du crypto-geek, que le film se défait un peu de son étiquette de relecture maniériste pour gagner un peu d’âme. Souvent bancal, parfois audacieux dans ses échappées oniriques (certaines scènes de fuites dans les limbes, filmées dans l’obscurité totale, sont saisissantes), Insidious ne marquera d’aucune pierre blanche le champ, en jachère, de l’horreur. Mais il aura au moins le mérite d’en sublimer ses ressorts les plus roublards.