Le cinéma français devrait en finir avec Patrick Rotman. Ce spécialiste de la fiction historique très très sérieuse (L’Ennemi intime de Siri, c’était lui) laisse la même impression d’incompatibilité que certains comiques de Canal + qui cherchaient à s’imposer sur grand écran dans les années 90. Chez Rotman, il y a d’un côté son arrogance de scribe de la culture officielle qui fait dire à ses films : « Attention, c’est l’Histoire », et de l’autre cet ADN désespérément télévisuel, où la quête de vérisme confine à une platitude hyper moisie. Revue de presse géante, qui balaie en 1h45 cinq ans de bisbilles, de petites phrases et de unes de J.T. (de 2002 à 2007), La Conquête est articulé par tout cela. Il s’agit moins de s’amuser de ou avec Sarko comme le suggère l’affiche du film, que d’en livrer une vision qui se voudrait objective et mesurée – ce que Rotman assimile à de la profondeur, choisissons d’en pouffer.
Loin de brosser un portrait ambigu, le film, ultra binaire peut se résumer ainsi : l’histoire d’un mec qui devient président et qui perd sa femme. Ou encore comme ça : l’histoire d’un mec petit mais costaud. Dans les deux cas, il va sans dire que Sarko en sort vainqueur : on l’y voit dur au mal, fin stratège, plus intègre que la moyenne, rebelle plein de panache, et cerise sur le gâteau, empli d’un romantisme fleur bleue qui l’érige, en ces temps troublés, comme le positif absolu de Strauss-Kahn – un homme blessé par une femme qu’il chérit, et qu’il écoute pour (presque) tout. Si bien sûr ce Sarkozy-là est aussi associé à sa batterie de clichés négatifs (son côté néo-beauf, colérique), on n’insiste pas sur les vérités qui dérangent. Rien ou presque sur l’anti-sarkozysme primaire. Et sur l’affaire du patron de Paris Match licencié pour avoir publié les photos de Cécilia et de son amant, réduite ici à un pudique et lointain geste d’humeur du bouillonnant candidat, l’ensemble montre son vrai visage : une farce politique qui, sans choisir réellement son camp, tolère d’être sous contrôle.
Par-delà le Sarko-film, La Conquête est surtout un énième french biopic, un biopic gratiné parce que s’aventurant sur le domaine balisé de la caricature politique. On y trouve d’ailleurs beaucoup d’acteurs de télé (Bernard « Chirac » Le Coq ou Florence « Cecilia » Pernel) qui s’adonnent à un show d’imitation avec petites phrases certifiées conforme au réel dont la bande annonce donne un avant-goût assez fidèle. Le spectacle, au fond regardable (vu de France, on commence désormais à prendre l’habitude de ce cinéma transformiste et Podalydès, malgré sa moumoute et sa démarche recopiée, reste un grand acteur), demeure plombé par son sérieux et ses précautions multiples. Terrifié par le spectre télévisuel – le côté Guignol de l’info que tout le monde relèvera néanmoins – le film nie les ferments carnavalesques qui transpirent des toupets et des perruques pour mieux se cramponner à une sorte de mélo lénifiant.
Et pour cause, cette petite histoire d’amour déchirée par le grand destin présidentiel est un vieux storytelling que la France entière connaît par cœur, abreuvée des mois durant par la Sarkozie. La Conquête ne fait que répéter ce vieux gimmick partisan que la réalité du pouvoir a estompé depuis : quand Sarko s’attarde au Fouquet’s le soir de l’élection, c’est moins pour fêter sa victoire avec ses amis du CAC 40 que pour tenter coûte que coûte de récupérer sa petite femme. Il y a plus clair encore : l’apparition de Dominique Besnehard en porte-flingue Sarkozyste parodiant Ségolène Royal lors de la préparation du débat de l’entre-deux tours. Permettre à un déçu célèbre du Royalisme de régler ses comptes dans le biopic officiel du champion de la droite, ce n’est pas cruel, mais juste infiniment mesquin.