Entre le nez et la bouche, là où se dessine la moustache, brille la marque du flic, du truand ou du ripoux, zone grise par excellence et à poil dur du mec borderline dont Olivier Marchal a fait son héros. La marchalisation du cinéma français n’a heureusement pas eu lieu, mais l’homme s’accroche et revient, sans cesse, hanter les écrans avec l’ombre de ses idoles. Tragédien au regard de cocker, Marchal a bâti sa réputation sur d’impossibles descentes aux enfers, des chutes comme des sacrifices acharnés, d’éternels chemins de croix. Invariablement, ses films voudraient embrasser l’ambivalence et la vérité de ses héros sur la crête, quand ils ne sont qu’emphase et certitudes. Sa complaisance nostalgique pour un temps où flics et malfrats avaient une parole vaut comme aveu : Marchal n’aime rien tant qu’un monde aux frontières indistinctes, il veut des balises, une structure stable et beaucoup de lumière, jusque dans les bas-fonds dont son passé organise un chantage à la vérité documentaire. Les Lyonnais, biopic de Momon Vidal (figure de prou du grand banditisme et nouvel ami du cinéaste, fier comme un coq) où Marchal rate à peu près tout, ne change rien à l’affaire. Depuis 36, quai des orfèvres, on a saisi la lourdeur jamais sympathique de ce cinéma français qui veut du mélo viril et du parler vrai, de l’ambiguïté bon marché et des moustachus vêtus de cuir qui en ont gros sur la patate. Les Lyonnais va un peu plus loin puisque, de l’aveu même de Marchal, le film est à la limite de l’échec.
Parti enthousiaste sur une saga fleuve de trois heures, Marchal a voulu faire son Gangs of New York. A l’arrivée, après un an de montage et plusieurs équipes lessivées, le film fait une heure de moins et évoque une succession de compromis sur une mise en scène impotente. Marchal convoque le grand récit familial gangréné par la trahison, mais tout va trop vite et l’enchevêtrement historique entre passé et présent s’épuise dans une intrigue branlante. Retraçant la trajectoire de Vidal et les siens (les rencontres, l’ascension, les coups pour le parti gaulliste, les femmes, les amis, les ennemis, les moments cultes), le film se borne à déstructurer, sans grand résultat, la linéarité de son scénario sans épaisseur. Le rêve de Marchal, filmer une époque et ses hommes comme un foyer de valeurs nobles, se perd dans la platitude de ses enjeux et la présence, énorme, de Gérard Lanvin. Toujours à l’aise chemise ouverte, l’acteur est la pure incarnation du fantasme marchalien, son idole seventies, cheveux épais, veste en cuir, et du poil qui déborde, partout, signe de la bête. Les Lyonnais, c’est un peu l’histoire d’un accessoire, la moustache, qui a lui seul voudrait justifier le film en costumes et résumer ses personnages. Peu importe au final l’idéal chevaleresque que Marchal espère réhabiliter, le voyou, comme le flic, n’est chez lui qu’un fantasme viril dont Lanvin serait l’icône, la main toujours lourde, la gourmette bruyante, le regard humide. L’émotion, les larmes, la sensibilité indiscutable lavant de tous les péchés, il n’y a rien de plus beau pour Marchal, répétant à l’envi que voir Momon Vidal pleurer sous ses yeux est l’un des plus beaux moments de sa vie.
Les Lyonnais se résume à la quête impossible d’un cinéma ambigu dans laquelle Marchal s’enlise depuis ses débuts. Il n’y a pas moins équivoque que cette vision du voyou d’honneur et du flic pourri, revers parfait du justicier incorruptible ou du mal absolu. La nostalgie dont Marchal a fait son fond de commerce n’est pas celle d’une époque de liberté où les héros auraient le double visage d’un monde mouvant à l’image des années 70. La mythologie du bandit héroïque contre laquelle elle se blottit est celle, au contraire, du réconfort réactionnaire – quête de valeurs sûres retrouvées dans une autre époque, souvenir d’une société où les règles étaient respectées par tous. L’éthique est son mot d’ordre et, donc, sa limite. Marchal ne ressuscite pas les héros intemporels de Melville ou les figures en ligne droite de Mann, il pleure sur son propre passé et dresse des barricades idéologiques. Les jeunes voyous des Lyonnais en font les frais, il faut savoir respecter la parole de l’ancien. En s’asseyant, mi-fier mi-accablé, au micro des plateaux télé pour rabâcher la grandeur de ces hommes qui ont des principes dans un monde livré à l’anarchie et la violence (le nouveau banditisme), Marchal ne voit pas qu’il entretient le feu du regret d’autorité. Loyauté et code d’honneur sont chez lui un rêve de stabilité synonyme d’un monde fermé, droit et pyramidal, où même les truands se tiennent comme il faut.