Sacrosaint pitre de la BBC, second rôle évaporé ou Anglais de service à Hollywood : ses multiples casquettes font de Steve Coogan une entité insaisissable, vue ici et là, sorte de clown blanc martyrisé ces temps-ci par des Augustes infantiles – Ben Stiller et Will Ferrell, notamment. Aussi, l’idée d’un bidule dédié tout entier à sa carrière d’acteur a de quoi intriguer. Après 24 hour party people et Tournage dans un jardin anglais, The Trip prolonge logiquement la quête du moi flegmatique menée par Coogan et chapeautée par Winterbottom. Sauf que, cette fois, le format semble plus adéquat que jamais : un vrai-faux docu picaresque qu’un hasard calendaire rend très contemporain ; on croirait effectivement au croisement déglingué de deux sorties récentes, I’m still here (pour la névrose existentielle et documentarisée de la star) et Pater (pour la dimension gastronomique, et la marotte consistant à taquiner les faux-semblants autour d’un mets raffiné).
Dilué dans une enfilade de sketchs originellement destinés à la BBC, le portrait démarre sur un sommaire postulat : en pleine rupture amoureuse, le Coogan-personnage est invité par The Observer à chroniquer les grands restaurants du Nord de l’Angleterre, épaulé par son compère Rob Brydon. Porte d’entrée fictive qui ouvre habilement sur le réel, puisqu’on suivra bien sûr le voyage gourmet et introspectif de Coogan, l’acteur, le vrai. Au gré des tablées et des veloutés d’écrevisses s’installe un balancement entre gags écrits et spontanéité, les deux réglés sur un art inimitable de l’understatement et du nonsense directement puisés dans le terroir britannique. Mais le delirium s’épuiserait vite s’il ne faisait que dérouler un traité d’humour anglais ; les duettistes entreprennent donc de saboter leur propre travail, comparant leurs imitations de Sean Connery comme deux gosses comparent leurs organes, jusqu’à pointer l’absurdité de la condition d’humoriste, condamné à répéter les mêmes singeries jusqu’à la crise d’identité.
Le road-trip prend ainsi des airs de thérapie de luxe pour Coogan, d’autant que les frontières entre le jeu et la vraie mise à nu sont souvent poreuses. Les frustrations du personnage, fiévreux de décrocher un premier rôle chez Spielberg ou Cameron, empiètent par moments sur les impros de l’acteur, occasionnant un léger malaise. Est-il sincèrement habité par un démon existentiel et carriériste, ou grossit-il ses propres traits en se jouant de notre crédulité ? Le doute permet en tout cas d’entrevoir un éclat de génie insoupçonné chez Steve Coogan, triste sire férocement drôle, capable de changer une mélancolie sans doute véritable en marrade classe et polie.
Là où Winterbottom se plante légèrement (et c’est typique de son cinéma), c’est qu’il prend par endroits trop au sérieux ce spleen de l’acteur en vadrouille, et néglige le second degré de son poulain au profit d’une gravité superflue. Une amourette branlante vient alourdir son errance, comme pour rendre son mal-être plus lisible, et insuffler l’idée d’une solitude inextricable dont souffrirait notre héros, alors subitement ramené aux problématiques du loser ordinaire. Mais le jeu de Coogan ne s’en tient pas à ça, c’est heureux, et conserve de bout en bout cette maîtrise du sarcasme affûté, toujours proféré avec un train d’avance, entre deux goûteux hors d’oeuvres.