Le vétéran techno britannique Anthony Child, alias Surgeon, a clairement une aura ; mais ce n’est pas en France qu’elle rayonne le plus. Bien sûr l’énergie techno sauvage de ses maxis (nombreux) et albums, chez Tresor et ses propres labels Dynamic Tension et Counterbalance, leur cavale permanente, leur raideur sans compromis, parfois ponctuées de queues de poissons et d’abstraction, inspiraient le respect minimum, mais ce qui a marqué surtout, c’est la démarche des British Murder Boys (son duo avec Regis) et des mythiques House of God à Birmingham, soirées sadiques, du drone à la techno martiale, comme on rêve de la ressusciter aujourd’hui ; et puis peut être aussi ce mix This is for you shits chez Warp, sauvage encore une fois – il faut bien admettre qu’on n’en fait plus des comme ça.
Alors ce nouvel album aujourd’hui, Breaking the frame, c’est tout l’inverse de ce qu’on croit : la preuve qu’on peut vieillir en techno. D’abord, Surgeon n’a jamais aussi bien sonné, grâce à un surplus d’espace et d’équilibre, sans emphase, sans compression exagérée, juste ce qu’il faut ; ensuite, voilà un album articulé à merveille – c’est généralement le problème en ce qui concerne la techno, pas ici.
Voilà tout ce qu’il s’y passe : des radiations métalliques dès l’entrée en matière (Dark matter) ; une atmosphère industrielle, la nostalgie qui grince en douceur, posée sur une syncope dubstep, débarrassée de tout le folklore graisseux ; du bleep analogique, condamné au contretemps, de la pulsation bien basse et bien grave, sur laquelle les échos sourds flottent sans histoire, comme pour toujours ; l’incroyable Radiance où apparaissent les reliefs magiques qui ont toujours fait défaut à Surgeon, où les textures se disputent les avant-postes, les kicks saturent, les snares explosent plus beaux que des balles, et un effet de phaser post-Autechre pour illuminer tout ; la Presence en clin d’oeil d’un Terry Riley pastiché, qui nous fait penser que décidemment, le déphasage et la soustraction sont des modalités sous-estimées de la techno, et qu’ils sont peu (Thomas Brinkmann sous pseudp Studio 1, Errorsmith), a en avoir profité. Un Those who do not pour grands espaces, à sa façon, avec des diffractions, réverbérations dronesques lentes tandis que le beat bat la chamade à s’étouffer, et, finalement, un chant où les voix pures et quelques field recordings trouvent une dimension hallucinatoire. Alors on peut interpréter ce titre, Breaking the frame : sortir du format techno pour mieux en déployer son spectre ébahissant.