La fille est au téléphone. A l’autre bout du fil, la voix caverneuse la soumet à un quizz sur le thème des films d’horreur. La fille ne s’en étonne pas, elle connaît la chanson : elle a vu Stab comme nous, de ce côté-ci de l’écran, avons vu Scream. Elle se plante, pourtant, comme s’était plantée avant elle la fille de Scream (qui s’emmêlait les pinceaux dans la série des Vendredi 13), comme s’était plantée la fille de Stab : la voix demande quel film fit, le premier, voir les meurtres à travers les yeux du tueur, et la fille répond Halloween. Perdu : il fallait répondre Le Voyeur.
Quelle place pour Scream dans la prestigieuse lignée de films d’horreur théoriques citée ici avec les films de Powell et Carpenter ? Plus simplement, que reste-t-il, quinze ans après la sortie du premier volet, de cet emblème paradoxal de l’horreur des nineties ? D’abord l’impression confirmée, à le revoir aujourd’hui, que le film n’était pas grand chose et que la critique fut très généreuse à son endroit, éblouie qu’elle était par le costume méta enfilé par le film, aveuglée par la promesse théorique qu’il faisait semblant de tenir. Voir dans Scream un grand moment théorique sur la mise en scène de la peur, c’était simplement se tromper d’objet – c’était se planter comme se plante la fille au bout du fil, c’était voir Halloween à travers Scream. C’était, surtout, se méprendre sur les intentions de Craven, sur son vrai programme, moins noble, plus ironique. Le film et ses suites, en cela, s’offraient surtout comme documentaire sur le rapport paradoxal que Craven a toujours entretenu avec le cinéma d’horreur, celui d’un cinéaste radicalement étranger à la croyance et à qui la peur, envisagée froidement comme pur réflexe pavlovien, n’a toujours inspiré qu’une forme de mépris rigolard (et ce, dès La Dernière maison sur la gauche). Le masque de Ghostface, d’emblée, ne théorise rien d’autre : sa grimace est la parodie d’un cri (l’effroi de sa victime, et donc du spectateur), et derrière lui c’est bien Craven qui, cyniquement, ricane.
L’ironie néanmoins avait ce mérite, tiré de son principal défaut : c’est qu’elle oblige à la surenchère constante, que le désamorçage qu’elle opère en appelle nécessairement un autre, et un autre encore, sans fin. Logique suicidaire, et néanmoins jubilatoire, quand elle s’assume sur le terrain, gratuit, du jeu: les trois premiers volets valaient pour ces moments-là, qui les tiraient parfois du côté de l’installation pure et simple, mettant en abyme moins le film d’horreur (là-dessus, qu’est-ce que Scream avait à dire de plus que ses personnages, script doctors boutonneux de la tradition du slasher ?) que les procédés de l’ironie eux-mêmes.
C’est sur ce plan que Craven, qui est décidément très malin, réussit indéniablement son coup avec Scream 4. Parce qu’ici l’ironie est devenue le sujet unique, et surtout parce qu’elle se tourne, entièrement, vers la série elle-même. Le gag qui ouvre le film dit exactement ce parcours, du méta film à l’horizon auto-ironique, et donc purement comique, du méta-méta film. Le film commence par faire le remake de l’ouverture de Scream puis désamorce deux fois : les images étaient celles d’une suite de Stab (Scream dans Scream, donc), mais les filles qui sont devant leur poste, elles-mêmes, sont les héroïnes d’une autres séquelle de Stab. Suicide en beauté de Scream, et de Craven, qui déleste la série de toute menace d’esprit de sérieux en déployant sur le film entier ce programme : suite de Scream et aussi son remake constant (à la limite, le film n’est qu’un bout-à-bout de reprises ironiques des scènes de la série, ce qu’étaient déjà en partie les 2 et 3 mais avec moins de bonheur), ainsi que sa parodie, mais encore : parodie d’un remake, remake d’une parodie, parodie d’un méta film, méta parodie d’une méta parodie. Ouf.
Qu’entendre alors de la promesse d’actualisation claironnée par l’affiche (« Nouvelle décennie, nouvelles règles », lit-on, alors qu’il y avait dans une réplique du film la tagline parfaite : « How much meta can you take ? »), comment Scream 4, au-delà de ce joyeux suicide, répond-il à l’appel du contemporain ? Le fond puritain de Craven devait, immanquablement, l’amener ici sur le terrain de la génération YouTube / Facebook, qui s’offrait comme sujet naturel de Scream 4. Et c’est l’autre bonne surprise du film, puisque Craven s’offre avec cette tarte à la crème un regain d’inspiration inattendu, et quelques vraies belles scènes. D’abord, sur le terrain du dispositif pur, quelques belles idées de mise en scène à partir d’une webcam (surveillance et mise en scène de soi : tout le protocole de Scream était vraiment fait pour l’époque, Craven l’a compris et y trouve matière à de jolies propositions, simples et ludiques). Ensuite, sur le terrain moraliste dont Craven ne s’est jamais défait, une satire drôle et monstrueuse des vidéos youtube, juste avant le dénouement, dans une séquence plutôt bien vue. Reste à voir ce que Craven, passé ce regain de santé, saura tirer de cette annonce qui sonne, en soi, comme le gag terminal de Scream 4 : Scream 5 et 6 seraient déjà en chantier.