Julien Capron développe dans ses romans un universproche du nôtre, avec des légères dissemblances suffisantes pour le rendre original et dérangeant. Dévoilé dans Amende honorable (très bonne surprise de la rentrée littéraire 2007), cet univers, géographiquement nommé « République », sert de toile de fond (mais à une époque différente) à Match aller, paru en 2009, et aujourd’hui à Match retour. Dans ce second volet des mésaventures de l’Enquêteur Provincial Fénimore Garamande, on continue l’exploration des bas-fonds de la ville de Volmeneur, vouée à un culte du ballon ovale porté par l’équipe des )Outrenoirs) et théâtre d’une succession de meurtres horrifiques, « assassinats dégueu façon serial killer, commentés à la philosophie, assaisonnés à la mythologie – Zeus et son orchestre ».
Match aller et Match retour présentent une manière de tour de force : quelques 1000 pages sur fond rugbystique, toutes de sueur, douleur, force exacerbée, mêlées à une enquête assaisonnée aux élucubrations philosophico-mythiques d’un enquêteur atypique largué en plein jeu de massacre, rythmées par le déroulé des journées du championnat qui orchestre le quotidien du port de Volmeneur, ville noire, triste, gangrenée par les mafias, qui ne vit que par et pour son équipe (toute ressemblance avec une autre ville et un autre ballon…) L’intrigue est du genre dense, avec coups d’éclats et rebondissements. Et l’essentiel n’est même pas là ; la fable chez Julien Capron va très au-delà de cette République, ses villes, son système, ses magouilles. Elle s’attache d’abord à des personnages. « Fénimore Garamande », quand même, rien que ça, ça vous pose un homme. Même si, à la rubrique héros, peut mieux faire : miné par une vie sentimentale en capilotade, l’enquêteur enchaîne les bourdes, cumule les remontrances, abreuve son entourage d’une logorrhée incontrôlable, nourrie au fil rouge de ses obsessions. Pourtant, le personnage finit par être sympathique, avec sa manière de sans cesse se remettre en scène, acteur désespéré qui s’égare dans ses voies sans issue mais qui persiste malgré tout. Et puis, l’homme est prétexte : à l’invocation d’une justice qui ne fermerait jamais les yeux, d’une traque assumée contre un mal protéiforme ; prétexte aussi, sur un registre plus intime, à une quête de sens. Les portraits des joueurs de rugby y font écho, alternant scènes de vestiaire, entraînements, matchs, moments de vie privée, quand les façades masquent difficilement les fêlures des uns et des autres.
Jeu, Mythes, Dieux ; le triptyque est solide. Pourtant, malgré un tableau d’ensemble prometteur, Match retour, comme Match aller précédemment, reste en-deçà d’Amende honorable. On passe sur certaines métaphores confinant au ridicule mais excusables ; en mélangeant absurde et solennel, Capron atteint une drôlerie souvent irrésistible. Mais au-delà des jeux de langue, la jubilation même du récit le rend excessif, addictif autant qu’épuisant. On atteint vite un stade de saturation, quand dans le même temps, la formule choisie de l’« enquête » pousse à aller au bout ; le dénouement, évidemment, est décevant, trop simple pour être convaincant. Si le ton maintenu tout au long des deux volumes, sans baisse de régime, est une prouesse (avec ses tirades d’anthologie), il est en même temps un fardeau. Tout en servant le propos du roman, qui prend le polar pour prétexte et se livre à une analyse de société plus fine qu’elle ne veut le laisser paraître, il noie aussi une partie des réflexions exposées, fondues dans un même brouhaha d’humour à l’emporte-pièce, de cynisme décalé, de pensées à la va-vite. L’inventivité de Capron, cet univers remarquable de cohérence, passe alors à l’arrière plan ; on l’oublie pour ne plus se focaliser que sur les jeux de langue, qui sont loin de suffire à refléter les talents de l’auteur.