Petit ou grand Coen ? Avec les trois derniers films des frères, la balance s’est un peu déréglée. D’abord parce qu’avec No country for old men, Burn after reading puis A Serious man, les Coen ont enchaîné trois beaux films, mais surtout parce que, avec les deux derniers au moins, cette alternance semblait résorbée dans une forme idéale, petite et grande, et ni l’une ni l’autre. Entre la vigueur d’un style facile à identifier (tragique rigolard, virtuosité en tout au risque de la gratuité, appétit pour la caricature) et le ciel plus lourd d’une angoisse dont la peinture a toujours été la grande ambition des Coen, A Serious man, exemplairement, trouvait plus qu’un compromis : un point de rencontre parfait, une merveille de légèreté posée sur un abîme d’inquiétude. Après ce grand petit film, que dit la balance au moment d’y déposer True grit ? Que les Coen ont fait un film ni petit ni grand, simplement : un film un peu raté, anecdotique, réussi par endroits mais globalement pas très inspiré.
On voit bien pourtant quelle prise un tel récit offrait aux Coen. Repris d’un classique de la littérature western (adapté une première fois par Hathaway – 100 dollars pour un shérif, avec John Wayne en gâchette grabataire), c’est une épopée à hauteur d’enfant : l’histoire d’une gamine de 14 ans dont le père s’est fait descendre et qui, réclamant vengeance, s’embarque sur la piste du meurtrier chaperonnée par un marshal égrotant et un Texas Ranger au professionnalisme cocasse. Pour les Coen, c’est Alice au pays des cadavres. Le film s’ouvre sur celui du père, émergeant d’une neige épaisse revenue de Fargo, et à partir de là le regard de la petite va glisser sans fin d’un macchabé à un autre, lancé sur un manège de chairs froides, ici pendouillant au bout d’une corde, là traînées dans la poussière mythologique de l’ouest, dessinant le décor morbide et plat d’un sinistre apprentissage. Quel apprentissage ? C’est un peu le problème du film, qui justement ne se développe jamais vraiment, semble se refuser à puiser ses enjeux dans cette grands toile macabre qui n’est guère plus qu’une toile de fond. Il faut longtemps aux Coen pour prendre en main la fable noire à laquelle leur récit semblait promis, si longtemps que quand enfin ils s’en emparent, le film est presque fini – c’est une fin très belle, une chevauchée de conte qui, ramassée sur les dernières bobines, fait l’effet d’un teaser idéal, l’hypothèse tardive d’un film qui n’est jamais venu.
Le problème de ce personnage, celui de la petite (dont la performance étale, et assez insupportable, de bébé acteur, semble comme déconnectée des possibles enjeux du récit, qu’elle traverse avec une assurance égale, jamais zébrée de la moindre inquiétude, du moindre mystère), ce problème dit bien la faiblesse du film, qui semble n’intéresser les Coen qu’en l’espèce d’une galerie de figures sans autre cohérence que le plaisir du trait. Ce goût-là, s’il n’est pas neuf chez eux, et s’ils s’y emploient toujours avec un indéniable talent, s’exerce avec un plaisir un peu autiste et inconséquent, privant les personnages de chair – et c’est plus frappant encore avec le personnage du marshal, qui peine à exister sous le cabotinage pénible de Jeff Bridges. Reste un personnage plus complexe et beau, celui du Texas Ranger, celui de Matt Damon : acteur génial, décidément, le seul ici à trouver un peu de profondeur derrière ce jeu de figurines western, plaisant mais vain, à quoi les Coen s’occupent en dilettantes.