Au premier abord, Longue sécheresse, premier roman du gallois Cynan Jones, 35 ans, intrigue sous deux aspects. Son écriture, d’abord : sèche, sobre, simple, presque naïve parfois, rythmée en courts paragraphes que séparent des interlignes, les chapitres étant dotés de titres factuels où l’on remarque chaque fois un déplacement inattendu de la majuscule (« la Vache », « le Veau », « la Ferme », etc.) Son décor, ensuite : la campagne de l’ouest du Pays de Galles, les terres cultivées, une ferme, un monde austère, dur et déclinant dont on comprend que, comme chez l’écossais Dominic Cooper, ils sont un personnage à part entière. L’histoire commence quand Gareth, fermier, découvre un matin qu’une vache pleine a disparu. « La rouanne au pis lourd. Elle est partie. Je vais aller à sa recherche », lance-t-il à sa femme, Kate. Quelques heures plus tôt, pris d’insomnie, il s’était rendu à l’étable et avait découvert qu’une autre vache avait mis bas un veau mort. « Agenouillée près de lui », elle « poussait des meuglements tristes et doux ». La disparition, la mort : deux thèmes sous les auspices desquels commence ce court et triste récit agricole, rude et émouvant, proche du reportage par instants, comme si derrière Gareth et sa femme, c’était un mode de vie, ce qui reste d’une histoire séculaire, que voulait raconter Cynan Jones.
Tandis que Gareth court après sa vache, son existence défile, comme un témoignage : vie professionnelle, affective et conjugale, vie locale dans la communauté, drames (la mort de sa fille, la maladie de sa femme), projets. « Elle s’inquiète à la pensée qu’un jour ils seront trop vieux exploiter la ferme, écrit Jones à propos de Kate, et il sait qu’elle a parfois des idées de pavillon, mais ça le briserait, son mari, et cela elle le sait aussi ». Voilà au fond le sujet de Longue sécheresse : la résistance devant la normalisation du monde, l’attachement (désespéré, parfois) d’une classe à sa terre et à sa position dans l’espace et le temps, le refus poli mais ferme d’entrer dans la vie « moderne » – celle du secteur tertiaire, du marché, de la vie artificielle déconnectée des rythmes naturels. Ce que magnifie l’écrivain, et dont témoignent peut-être à leur façon ces majuscules offertes aux noms banals des titres de chapitre, c’est cette noblesse des éléments, la grandeur des choses naturelles et de ceux qui choisissent de vivre à leur contact, malgré leur ingratitude (vie frugale, difficultés économiques, violence occasionnelle des éléments – y compris dans la laideur organique, la décomposition, que Jones décrit sans fausse pudeur). En découle un livre âpre, sobrement poignant, sec comme le promet son titre ; son atmosphère à la fois nostalgique et lumineuse demeure à l’esprit bien longtemps après qu’on l’a refermé. Une belle découverte.