Africa united, comme United Colors et Manchester United : un maillot de grand club européen sur le dos, une bande de moutards traverse leur continent blessé pour assister à la cérémonie d’ouverture de la coupe du monde. Comme Benetton, ils sont socialement disparates et pratiquement tous victimes, voire ennemis, s’ils n’étaient pas « united » par la magie du foot et du cinéma : un enfant soldat, une pute juvénile réduite en esclavage par d’odieux toubabs rejoignent un tandem rwandais sur la route du mondial, pur fantasme de casque bleu – un orphelin des rues sidaïque, et son poulain, gosse de milliardaire un peu godiche mais doté d’une frappe de balle à faire pâlir Didier Drogba. Pour autant, Africa united n’a pas peur de flirter avec le réel. Sa dimension road moviesque permet de passer en revue les maux de l’Afrique, programme picaresque et ludique qui ressemble au Tour de Gaule d’Astérix. A chaque étape sa spécialité locale (l’argent dévalué au Zimbabwe, les camps de réfugiées en RDC), sa géographie (« Oh le lac Tanganyika ! »), son petit personnage emblématique.
Faire d’une Afrique centrale ravagée par la misère et les massacres un terrain de jeu pour néo-Goonies afros (le film de Donner se posant ici comme statue du commandeur), il fallait oser. Mais puisque le film s’adresse avant tout aux petits Africains, après tout, pourquoi pas ? C’est en tout cas sur ce prétexte qu’Africa united échappe de justesse au procès de safari pour blancs, sans pour autant parvenir à passer pour un produit local, malgré tous ses efforts de récupérations culturelles. C’est là que le bât blesse. Alors que le film se pose en premier blockbuster africain de l’histoire du cinéma, il se voit davantage comme un prototype de fiction ONG, le récit essuyant les bombardements massifs de messages doctes préparés par un Torquemada de l’Unicef : « ne néglige pas l’école », « ose le dépistage », « la capote est ton amie » – même pour jouer au foot, puisqu’elle sert à fabriquer les ballons. L’ennuyeux, c’est que l’humanitaire a, comme souvent, une odeur occidentale franchement néo-colonialiste. Moins une impression qu’un fait : la réalisatrice est blanche, britannique de surcroît. Formellement, c’est criant : esthétique pubarde, visages et sourires coca-colables, tendresse exportable (le quart d’heure final ahurissant d’obscénité lacrymale), l’ensemble, trop hollywoodien pour duper quiconque sur l’origine de son moralisme, se pose aussi en étalon de valeur. Autoproclamé Rolls du divertissement africain, Africa united se rêve en modèle à suivre, fort de son fric et de son savoir-faire.
Sur le fond, c’est encore pire, le film opérant une indignation sélective sidérante d’hypocrisie : sans concession envers la barbarie et l’obscurantisme typiquement africains, d’une naïveté forcenée à propos du foot business régi par l’Europe et les multinationales – seuls les pédophiles blancs sont pointés du doigt, c’est dire si ça dénonce. Le foot n’est ici qu’un rêve de spectacle populaire sans taches ni contreparties (un côté « vive le sport » martelé tout du long, orphelin du moindre développement), opium préservé de la moindre remise en cause, même reconfiguré socialement, pour faire plus propre. Le cliché du footballeur africain s’extrayant de la misère par le sport de haut niveau en Europe, trop sujet à polémique, est ici clairement censuré, remplacé par une improbable mythologie à faire se plier de rire n’importe quel gamin des bidonvilles. Le seul champion en herbe du film vient donc des beaux quartiers, encouragé par un découvreur de talents bon comme du bon pain, et sa difficulté existentielle consiste à convaincre sa mère qu’il est plus fait pour la Champions league que pour Harvard. Décidément, l’occidental est cynique. Même Thierry Roland serait d’accord.