A la roulette des possibles remakes hollywoodiens, on n’aurait pas forcément misé, dans l’immédiat, sur un film de Tom Holland. Spécialiste d’une horreur télé indolente et feutrée, bizarre à force de sonner faux, on lui doit Chucky, quelques adaptations de Stephen King et Vampire, vous avez dit vampire ?, que l’on retrouve donc aujourd’hui, en version de luxe. Dans la banlieue de Las Vegas, Charlie Brewster (Anton Yelchin), un ado ex-nerd en passe de devenir cool, découvre que son bellâtre de voisin (Colin Farrell) est un vampire. Des disparitions ont lieux, dont celle de son meilleur ami. Il tente d’obtenir l’aide d’un show man excentrique versé dans l’occulte, faux chasseur de vampire et voyant toc, pour éliminer le suceur de sang.
Dans les récents films de vampires qui tombent d’Hollywood (et d’ailleurs) comme d’un arbre sous la cognée, la sexualité adolescente est scrutée sous tous ses angles. Fright night n’échappe pas à la règle, décline autant de clichés qu’il est possible d’en concevoir sur la question, fonce dedans à corps perdu au lieu de chercher à se démarquer. Ce qui ne le dessert pas forcément. Tout comme dans Twilight, Fright night fait du vampirisme l’incarnation littérale du désir adolescent, mais cette fois l’obsession n’est plus tant celle de la défloration que du choix irrésolu entre la nostalgie de l’enfance (au début du film représentée par le meilleur ami, resté nerd) et la pleine maturité (Charlie a une copine, mais physiquement c’est encore je t’aime moi non plus).
La façon dont le film diffère le moment suprême, sépare les deux corps par un très épais feuilletage de références et citations d’un cinéma de l’enfance, est tout aussi amusante que révélatrice, au fond, d’un assez grand manque d’idée. Voir Fright night, c’est gratter un interminable palimpseste : d’abord, un suburb spielbergien, sorte de parc isolé au milieu du désert, où de façon aussi improbable que dans le lotissement des Banlieusards, un agent immobilier (la mère de Charlie) habite une maison de même standing qu’une gogo danseuse. Quelques gamins paranoïaques (trait typique du Spielberg des années 80 – cf. Super 8) partagés entre un style de jeu « J.J. Abrams » (Anton Yelchin), et « Judd Apatow » (Christopher Mintz-Plasse), sont persuadés que le voisin d’à côté, maquillé quant à lui comme le gars de Twilight, est un vampire. Mais les surfaces sont encore nombreuses, traversées au sens propre par les personnages (palissades, portes, ouvertures secrètes, panic rooms, couloirs dérobés, caves, trous, etc.) qui s’immiscent dans un gothique rigolard mais rigoureux, façon Une Nuit en enfer. Plus les surfaces se succèdent, plus la fiction est prise au sérieux ; l’ado devient adulte et la défloration est imminente. Au cours de son aventure, Charlie explore son propre désir (voir exemplairement la scène des cellules dans l’antre du vampire où se trouve cloîtrée la sublime gogo danseuse – sur laquelle il fantasmait lui-même, mais aussi la tendance gay, ou encore la tentation œdipienne). Esthétiquement, la 3D, avec ses surfaces flottantes, sa gestion stratifiée du cadre, renforce assez bien cet effet pelure d’oignon, effeuillage alangui.
Fright night est un récit d’apprentissage : Charlie se retrouve pris entre deux représentations de la sexualité, l’une très physique et très mûre, incarnée par le vampire, l’autre fantasmatique et immature, incarnée par le showman de Vegas (et ses shows télé magico-érotiques, d’un kitsch sévère). Au vrai vampire, répond le faux chasseur de vampire. Il faut voir celui-ci, dans son appartement, se démaquiller devant le jeune héros, enlever d’abord sa perruque, puis sa moustache, ses pattes, ses piercings, et même ses tatouages, effacés à l’essuie-tout : autre palimpseste, inversé celui-ci, de l’image fictive vers l’image réaliste. Charlie parviendra à le convaincre de la véracité de son histoire de fou, que le faux magicien, il s’en souviendra, a lui-même vécu dans son enfance. Un grand mythe refoulé, voilà ce qu’est le vampire dans Fright night : aimable, mais très inoffensive parodie du fameux complexe.