Dans le triste marigot du genre à la française, la petite réussite de Pour elle en 2008 tenait presque du miracle. Pas question ici de crier au chef-d’oeuvre oublié, simplement de saluer un film à l’écriture solide et au style nerveux, deux pieds sans lesquels toute série B peine à tenir debout. Ce n’est pas à un énième starfixien cinévore que l’on devait ce travail d’artisan, mais à Fred Cavayé, cinéaste de 40 ans plus obsédé par son arc narratif que par les références qu’il pouvait y empiler. Ces belles promesses, il appartenait à A bout portant de les confirmer. Monté avec l’équipe technique de Pour elle, le film fonctionne d’ailleurs sur le même double principe du couple séparé et du compte-à-rebours : pour sauver sa femme enceinte, un aide-soignant doit faire sortir un criminel de son hôpital. Sauf que cette fois, Cavayé se heurte à un obstacle de taille : Gilles Lellouche.
Car le troisième pied sur lequel repose ce genre de film, celui qui l’empêche de se vautrer quand il trébuche, c’est l’interprétation. Pour elle se relevait de toutes ses invraisemblances parce que Vincent Lindon y jouait les quidams comme personne. Il faut un corps épais mais hésitant, un visage anonyme mais habité, pour héroïser un M. Tout-le-Monde, le redimensionner à la hauteur des enjeux (voir Tom Hanks, maître en la matière). Un mélange de résistance et de transparence que Gilles Lellouche singe à grosses gouttes mais ne trouve jamais. Confronté à la minéralité de Roschdy Zem, son jeu en mousse crée même un déséquilibre global – en clair : ils ne jouent pas dans le même film. Et le constat vaudrait presque pour l’ensemble de la distribution. Alors qu’il devrait se fondre dans les plans, l’acteur est ici comme une anomalie comique, une sorte de greffon constamment rejeté par le film. Résultat, toutes les petites incohérences, toutes les petites facilités dont on pourrait s’accommoder, ressurgissent dans le sillage de ses simagrées spongieuses. Problème d’autant plus lourd que la belle évidence de Pour elle a été un peu perdue en route : son scénario façon ligne claire a laissé la place à une intrigue plus retorse, moins acérée, qui aurait mérité un catalyseur digne de ce nom.
Pourtant, l’essentiel n’est pas loin. Réalisateur comme scénariste persistent dans une logique de soustraction, de compression, qui est peut-être la seule voie possible pour sortir notre cinéma populaire de son aporie stylistique. Aucun besoin de faire sens dans A bout portant, pas de complexe d’infériorité non plus, juste un soucis constant de servir au mieux le récit. Dont acte : malgré quelques pataquès ça et là (Gérard Lanvin olivier-marchalisé), deux ou trois scènes qui prêtent à rire (soyez méchant : fumez à côté d’une femme enceinte), l’ensemble reste plus droit, franc et efficace que 99% des thrillers français sortis cette année. La prochaine fois, il faudra juste éviter de caster Bob l’éponge.