Devil est le premier d’une longue série de scénarii mis de côté par M. Night Shyamalan, et que ce dernier se contente aujourd’hui de produire. A l’arrivée, Devil correspond exactement à ce qu’on pouvait attendre : un fond de tiroir totalement bâclé qui témoigne à la fois d’une roublardise un peu désespérée du cinéaste d’Incassable, et de son pouvoir de plus en plus vacillant sur l’échiquier d’Hollywood. Le pitch démarre à Philadelphie, ville fétiche de Shy, dans un gratte ciel du business-center. Un employé de la tour s’y est défenestré au petit matin. Puis un ascenseur se bloque. Ses cinq occupants, qui ne se connaissent pas, s’observent. Flash, hurlement : l’un d’eux est sauvagement assassiné. Non seulement l’assassin est dans l’ascenseur, mais il pourrait être le diable en personne.
Face à ce point de départ digne d’un épisode des Contes de la crypte, on comprend que Shyamalan ait préféré passer la main. Le projet n’étant plus de son âge, ni de son rang, on aurait pu espérer en revanche qu’il fut repris par un disciple prometteur. Car si Devil est au fond très kitsch et poussiéreux (grand guignol à la Stephen King, un côté Dix petits nègres moisi), il porte une poignée de situations inoxydables (le coup de l’ascenseur, l’incarnation du mal), qu’un bon artisan aurait pu travailler avec plaisir. Mais cette place est laissée vacante : le film donne la curieuse impression d’avancer sans tête, guidé faute de mieux et avec désinvolture par la personnalité de son célèbre producteur dont on peut prélever ici ou là l’ADN (Philadelphie, la foi, une tendance à théoriser l’action en cours). Difficile de considérer ces bribes comme l’embryon d’une œuvre ou ses ruines, tant le film est à la fois ringard et immature. En fait, il est exactement les deux : un brouillon de jeunesse qui n’aurait jamais dû voir le jour, mais que la crise traversée actuellement par le cinéaste fait exister malgré tout. Film spectre, Devil peut se voir comme le revers du Dernier maître de l’air, dernier (beau) film de Shyamalan, qui tenait au contraire sur sa seule mise en scène : la preuve en images de ce que deviendrait le cinéaste si, après son pouvoir, il perdait son talent.