Dans la cour de la prison où il se retrouve coincé au début du film, Johann tourne en rond, mais pas au ralenti. C’est par la vitesse au contraire qu’est défini cet obsessionnel de la course, même en circuit très fermé, qui apparaît d’emblée comme un pur concept de cinéma : un corps mobile, un moteur sur pattes qui actionne à lui seul le film, motive l’enchaînement de ses plans, quel que soit l’objectif à atteindre. Le cas de ce marathon man ne s’arrange évidement pas lorsqu’il quitte sa geôle : l’ex-braqueur récidive sans le moindre scrupule, excellant dans l’art du hold-up sprinté. Il y a quelque chose de Terminator chez ce coureur au visage impassible, qu’il soit masqué ou pas. La plongée au cœur de son addiction constitue une expérience aussi hypnotique que dérangeante, pas loin de celle proposée par Bresson dans Pickpocket, dont Le Braqueur pourrait être la version speedée. Le processus est au fond le même : aller au bout d’un parcours souterrain et illicite, épouser et épuiser sa logique retorse pour parvenir in extremis à un cheminement moral. Dans les deux cas d’ailleurs, la beauté du geste, la performance physique, en d’autres termes la jouissance d’un certain dépassement de soi et de la loi, comptent bien plus que les billets dérobés. Les hold-up de Johann, monomaniaque asocial, semblent n’avoir que deux objectifs, qui se rejoignent : d’une part, entraîner l’athlète pour ses marathons en le poussant à dépasser son record de vitesse et, d’autre part, lui rapporter suffisamment pour qu’il puisse se consacrer entièrement à ses courses.
Les exercices de hautes voltiges auxquels s’adonne le performeur hors-la-loi relèvent d’une forme d’art qui a clairement à voir avec un désir de cinéma à la fois très basique – il faut que ça bouge – et théorique. Les enjeux ambitieux posés par le réalisateur fascinent : concilier un cinéma du mouvement et de l’accélération aux influences très américaines (ou : comment tuer le temps) avec un cinéma européen plus statique et intimiste (ou : comment le temps tue). Cette démarche n’est sans doute pas sans lien avec l’expérience de critique de Heisenberg, co-fondateur (avec Christoph Hochhäusler, dont on verra bientôt Sous toi, la ville) d’une revue, Revolver, née en même temps que la jeune et passionnante génération de cinéastes regroupés sous l’appellation « école berlinoise ». Le sens de l’échauffement et du rythme du film, la beauté de ses pauses entre les sprints, l’entraînent au-delà de la pure expérience de labo, même si celle-ci affleure dans ses rares moments de faiblesse (la fin notamment). S’il est question pour le personnage de maintenir une certaine cadence, de s’oublier dans une course effrénée, celle-ci est soumise à un inévitable principe de réalité – Johann est bien contraint de s’arrêter de temps en temps pour se soumettre à un mode de vie normal, ne serait-ce que pour dormir. Comment investir pour lui ces moments d’inaction ? La grande force du film est de ne jamais faire de ces pauses des moments purement transitionnels mais de les investir pleinement, en l’occurrence charnellement, via le très beau personnage de la logeuse, amie et amante de Johann. Par sa présence bienveillante, sensuelle et grave, elle semble doubler le corps mécanique du coureur un autre corps, prolongé cette fois-ci d’une âme. Derrière cette réconciliation s’en cache une autre, tout aussi émouvante et réussie, celle d’un cinéma d’auteur et d’un cinéma populaire parfaitement raccordés.