Le plus grand méfait des Call of duty aura été d’avoir entériné la passivité comme argument d’offre majeur du FPS : un spectacle son-et-lumière azimuté, sa pléthore d’animations et de scripts rigides, au mépris de toute autre implication que spectatorielle. Au vu du record des ventes, la logique s’en voit justifiée : à quoi bon s’échiner à renouveler un bête gameplay de tir quand son succès est exponentiel à chaque nouvelle déclinaison ? Comme un bubon de cette peste propagée par Activision, Homefront affiche fièrement ses symptômes de copie conceptuelle.
Avant même de sortir, le jeu se forgeait malignement son buzz avec sa controverse couvée : le choix de la Corée du Nord comme nouveau foyer du Mal, aisément attaquable puisque seul pays encore réfractaire à tout échange diplomatique (la Birmanie pour le deuxième opus ?). Scénario uchro-catastrophe : après avoir unifié les deux Corée en une République populaire, le successeur de Kim Jong-il lance une vague d’unification massive de l’Asie de l’Est, en annexant tout sur son passage. Soucieuse de perpétuer l’évangile communiste sur le globe, la Corée s’attaque ensuite aux Etats-Unis en balançant une énorme impulsion électromagnétique sur tout le territoire. Paralysés, les States n’ont d’autres solution que de rendre les armes et de se faire envahir. Dans une Amérique convertie à la dictature communiste, la résistance s’organise et nous enrôle (malgré nous) pour mettre fin à l’occupation. Cette colonisation des Etats-Unis, jusque-là réservée à la science fiction et aux forces extra-terrestres, tentait un pari intéressant, car risqué, de jouer la carte du réalisme. La présence de John Milius au scénario faisait d’autant plus miroiter, malgré les penchants réac’ du bonhomme, une ambivalence digne d’Apocalypse now, pour un portrait vraisemblable de la psyché yankee et de ses névroses contemporaines. Visiblement, on avait tort sur toute la ligne.
En déterritorialisant le conflit armé sur le sol même de l’Empire (Modern warfare 2 avait déjà imaginé, plus « sobrement », une invasion russe sur le même terrain), le jeu se pose en condensé des angoisses populaires face à d’éventuelles invasions « barbares ». Suburbs et mobile-home mis à sac, jardins et barbecues souillés, bus scolaires jaunes éventrés : le viol de l’americana s’affiche à chaque coin de niveau comme art de propagande haineuse contre un envahisseur potentiel. Usant de rhétorique grossière – jusqu’aux temps de chargement, où défilent affiches et tracts, style endoctrinement des années 30 – Homefront s’avère orfèvre du bourrage de crâne populiste et pousse le trauma du colonisé très loin. Souvent trop. Lors d’une séquence d’infiltration, l’escouade rebelle tombe sur un immense stade de foot, transformé en charnier, avec pelleteuses charriant des monceaux de cadavres au fond de fosses communes. Cette balourdise à mettre, sur un même plan, génocide historique et son fantasme uchronique pouvait s’arrêter là, mais non. Pour échapper aux ennemis, le joueur doit se planquer au fond de la fosse et rester immobile, à fixer pendant 5 minutes le visage des cadavres. Une telle obscénité laisse pantois : la sauvegarde de l’innocence n’est finalement que pur prétexte à une vengeance justifiée, ludosophie d’autant plus douteuse qu’elle prend les formes d’une dignité humanitaire.
Ne jouons pas les oies blanches : le jeu ne fait que recycler un lourd l’héritage du FPS géopolitique et ses logorrhées patriotiques. Killzone 3, dernier exemple en date, ne brille pas non plus par son traitement idéologique. Mais sa volonté de se démarquer par un gameplay propre (sa gestion des couverts, par exemple) le distance un minimum de ses idées. Homefront, lui, ne prétend à aucune avancée conceptuelle. D’une longévité scandaleuse (5 heures seulement pour la campagne solo), le jeu accumule les griefs de fainéantise. I.A ennemie anémiée (comprendre : aucune option tactique), scripts incessants et cinématiques éculées – dont une charge en hélicoptère avec les Stones en B.O, « attention : hommage ! » – rien ne masque les poncifs atterrants d’un scénario indigent. Si le multijoueurs sauve le tout du naufrage, sa conception suinte tout autant l’opportunisme, ses mécanismes étant calqués sur ceux des Call of… et Battlefield. Vieillerie avant l’heure, Homefront, doit finalement s’aborder comme cas d’école et symptôme menaçant pour l’avenir du FPS. A côté, même l’affreux Black ops passerait pour un modèle d’évolution. Semper Fi, mon c…