Le dernier plan de L’Homme qui voulait vivre sa vie laisse sur un sale goût d’inachevé. Le film est fini, mais il ne sait toujours pas où il va. On sent dans ces dernières secondes toute la volonté d’Eric Lartigau de suspendre son drame en vol, de le couper trop tôt pour le laisser filer, mais le geste est emprunté, mécanique, en tout cas loin de l’effet cicatriciel recherché. Symptôme d’un film qui se tourne autour sans jamais se trouver vraiment. Adapté d’un roman de Douglas Kennedy, cette histoire de vol d’identité offrait pourtant un passionnant et complexe terrain de jeu. Romain Duris (pas mal), avocat prospère mais photographe raté, tue l’amant de sa femme par accident. Pris de panique, il maquille la scène de crime, emprunte l’identité du type et disparaît dans la nature en laissant femme et enfants derrière lui. Perdu à l’autre bout de l’Europe dans la peau d’un autre, il va contre toute attente se réaliser pleinement. Sur le papier, on hésite entre film de cavale, étude schizophrène, récit initiatique, tragédie familiale… Une flopée de pistes dramatiques excitantes pour autant de films potentiels. Sauf qu’Eric Lartigau refuse d’en privilégier une et passe finalement à côté de toutes : à trop hésiter sur le film à faire, il n’en fait aucun.
S’il y avait mille possibles sur un sujet pareil, deux grandes lignes esthétiques se dessinaient assez nettement. D’un côté le film de genre carré, racé, serré à s’en étouffer, de l’autre une approche plus sensorielle, impressionniste, histoire d’accompagner les poussées de fièvre existentielles de l’histoire. Trop ambitieux sans doute, Eric Lartigau décide lui de croiser ces lignes, d’alterner les tons et les genres au fur et à mesure des péripéties. Un choix casse-gueule qui oblige à tenir le récit d’une main souple et ferme, à le laisser bifurquer tout en le maintenant sur les rails. Sans compter la forme qui doit se laisser grignoter par ces ruptures, changer imperceptiblement de nature. Double danger, double écueil : la conduite du récit est mal boulonnée et la mise en scène fait relâche. Entre le drame bourgeois du début et les poussées de fièvre schizophrène du deuxième tiers, pas de gradation, toujours les mêmes valeurs de plans, donc aucun sentiment d’urgence ou de mâchoires qui se referment sur le héros. De loin en loin, cette ratatouille en rappelle une autre, celle de Guillaume Canet avec Ne le dis à personne. Même best-seller amerloque et cinégénique, même quidam dépassé par les événements, même bienveillance médiatique… Mais aussi même impuissance mollassonne, cet aplatissement des enjeux qui éteint une à une toutes les belles étincelles allumées par la note d’intention. On sent pourtant plein de choses en germe ici, comme si L’Homme qui voulait vivre sa vie ne demandait qu’à basculer, qu’à choisir entre décoller vers un ailleurs ou s’écrouler sur son héros. Mais à l’image de la réplique-carrefour de Niels Arestrup « Ils ont gobé ton histoire. Profite ! Qu’est ce que t’en as à foutre ? »), ses belles intentions vont rester lettre morte, sagement rangées dans un entre-deux sans grand intérêt. Ceci posé, L’Homme qui voulait vivre sa vie n’est pas pour autant un détestable navet. C’est juste un film pour rien.