On n’avait pas eu l’occasion, à la sortie de Jumper, de dire ici tout le bien que nous inspirait ce film d’action déjanté, buissonnier, prodigieusement inventif. A côté, le dernier Doug Liman apparaît forcément plus commun, se présentant d’abord sous les traits d’une nouvelle charge anti-Bush, élaborant un suspense bidon pour conclure (courageusement, sept ans plus tard) que, d’armes de destructions massives en Irak, il n’y avait point. De fait, au moins dans sa première moitié, Fair game n’est pas sans maladresse, ni balourdise sur le terrain géopolitique. Il reste malgré tout sympathique dans sa manière de conserver, sur un grand sujet comme celui-ci, une part de décontraction. On l’avait noté à Cannes : sa particularité est d’adopter un ton relativement enlevé qui le rapproche, pas endroits, de la pure comédie conjugale. Elle (Valerie Plame, donc) part en mission, lui garde les enfants, les deux s’amusent des commentaires stéréotypés de leurs amis, sans pouvoir révéler tout ce qu’ils savent et n’ont évidemment pas le droit de dire.
Le parcours de Fair game s’effectue très nettement en deux temps : les missions d’espionnage de Madame puis, sa véritable identité dévoilée, la campagne médiatique indignée de Monsieur. Cette deuxième partie est, elle, particulièrement réussie, forte d’une précision, d’un tranchant, qui forcent l’admiration. Pas la moindre redite : Liman nous accordera en tout et pour tout une scène de menaces téléphoniques, une interview télévisée pour dénoncer les abus du pouvoir, une irruption de colère contre une journaliste calomniatrice. Fair game fait défiler en moins d’une heure un programme qui en occupe généralement deux, et parfois il n’est pas sans évoquer la puissance d’abstraction d’un Ghost writer. Toutes proportions gardées : la mise en scène de Liman n’a pas la pureté de celle de Polanski, et son film se présente encore sous les atours plus ingrats du film-dossier. Cela l’empêche sans doute de prétendre au même magnétisme, mais lui offre aussi une plus grande proximité. On ne le percevra peut-être pas, d’ici dix ans, comme une des pièces maitresses de l’oeuvre de Liman : Jumper était du jamais-vu, quand celui-ci s’inscrit dans une filiation plus classique, allant des Hommes du président au magnifique Révélations. Mais cette faculté de s’inscrire dans des projets d’apparence plus convenue pour leur donner un bon coup de fouet contribue à faire de son auteur un des cinéastes américains montants, dont la carrière mérite d’être suivie avec la plus grande attention.