C’était en l’an 2000. Dans les pages d’un magazine britannique, on découvrait le faciès émacié du Finlandais Sasu Ripatti, ado attardé au look de traveller cachectique un peu flippant qu’on imaginait tout droit émergé de quelque squat glauque de la banlieue d’Helsinki. L’article nous promettait monts et merveilles et renouveau fantastique du son de la techno jusqu’au-boutiste du label Chain Reaction et Vladislav Delay – c’était déjà son nom d’artiste – se demandait combien de temps il pourrait bien continuer la musique parce que son homestudio très sommaire tombait en morceaux. En découvrant effectivement le gros grain féerique et l’invention fabuleuse de l’album Multila (plus particulièrement « Huone », baleine blanche électronique de 22 minutes qui se revitalisait comme par magie à chacune de ses mesures), on fut abasourdi : cette musique à la fois minérale et organique, floue et minutieuse sublimait et poétisait jusqu’à son immobilisme, sa rugosité, le dénuement de son son. Une grosse décennie, une bonne trentaine de disques réalisés sous au moins six pseudos différents (Luomo, Uusitalo, Vladislav Delay, The Dolls, Kinovida) et de side-projects plus tard plus tard, la réédition du premier album de Sistol (1999), enregistré peu ou prou en même temps que Multila, est un vrai choc.
Qu’y entend-on au juste de si exceptionnel, à part d’énièmes variations minimalistes hyper crues autour du sempiternel schéma rythmique paradoxal kick droit/polyrythmie dans les interstices ? Outre l’étrangeté immédiate du son (merci la musicassette), il y a une souveraineté esthétique, une singularité presque brutale qui sautera mêmes aux oreilles parfaitement instruites aux intégrales des labels Plus 8/Minus, Basic Channel ou Säkhö. Car en dépit du groove et des apparences et comme il nous l’explique dans l’interview qu’il nous a donnée, le Finlandais se fichait alors totalement de la techno et de la dance music. Autour du kick cradingue, les percussions virevoltent, grouillent et s’amoncellent comme les fougères autour d’une racine de chêne ; comme dans une partie de pelote basque, les basses vrombissent à contretemps, les tom synthétiques bondissent ailleurs à chaque demie mesure sans que presque jamais une nappe ou une méchante mélodie ne vienne siruper le propos (une seule exception, le remarquable « Kotka », tout droit échappé des sessions de Multila). Et pourtant, on parle bien ici de musique et point de science, de tentations et point de tentative : pas une seconde de ces huit exercices extraordinaires ne sonne laborieuse ou expérimentale. (Précisons que par respect pour la postérité, on n’évoquera pas l’album de remixes absolument, ostentatoirement inutile qui accompagne ce remaster indispensable).
On ne comprend en revanche pas très bien ce qui a décidé Ripatti à ressusciter le pseudo Sistol pour son nouveau On the bright side. Désormais installé en petit aristocrate de la musique électronique européenne, le Finlandais a les cheveux bien peignés, il file des jours tranquilles avec sa compagne Antye Greie Fuchs et joue de la batterie dans le trio (super) de Moritz von Oswald. Conséquemment, sa musique est toujours inventive et témoigne en permanence d’une peur panique de se répéter (grand anxieux, il fait le ménage tous les deux disques) mais sonne à chaque disque un peu moins ambiguë. Aussi si aucun disque de la grosse discographie de Ripatti ne ressemble à ce disque étrange, aucun de ses morceaux ne fait des vagues très longtemps : il semble rempli au hasard de tracks post techno pas très finaudes, de facture moderne mais jamais oringinale, pleine d’échos sympathiques (une bassline rave par ici, un triturage noisy par là) et d’idées formelles un peu pénibles. Pas tout à fait un mauvais disque, On the bright side est à l’image de ses basslines tout juste utilitaires : un album bien trop quelconque pour être à la hauteur de son glorieux et si singulier prédécesseur. 1999 : 5, 2010 : 0.