Warren Ellis est scénariste de comics, une de ces plumes qui a contribué à la relance du label Marvel. Un bon lot de super héros, forcément, et puis, parmi ses gros succès des 90’s, Transmetropolitan (DC Comics / Vertigo), l’histoire d’un journaliste gonzo dans une Amérique futuriste.
Ici, on change de registre, l’heure est au roman. Artères souterraines, c’est l’histoire d’un détective privé nommé Mike, poursuivi par la poisse, embauché pour la modique somme d’un demi-million de dollars par un ponte du gouvernement américain pour retrouver un livre magique : l’original de la Constitution américaine avec ses amendements rédigés avec l’encre qui hypnotise, texte qui pourra remettre l’Amérique dans le droit chemin à force de grands raouts messianiques qui réactualiseront les grands principes des Pères Fondateurs. Rien que ça. On colle aux codes du genre : récit à la première personne, atmosphère déglingue, bureaux crasseux, personnages hauts en couleurs, et Ellis embarque Mike, rejoint par la jolie Trix, dans une grande virée à travers les Etats-Unis, du côté de ce que le pays a de plus pervers, halluciné, dingue ou franchement déviant.
Pour servir tout ça, Ellis ne fait pas dans le subtil : une bonne dose d’humour, souvent noir, un listage au vitriol des travers de la grande Amérique, un fourre-tout d’humeurs, une dose conséquente de trash pas compliqué. Première image du livre : un rat géant pisse dans un mug, histoire de poser l’ambiance. L’idée de base, finalement, n’est pas mauvaise. Mais l’impression générale reste confuse. Les personnages, Mike et Trix, restent évidemment manichéens ; à aucun moment, Ellis ne fait dans la nuance, et l’ensemble reste « passe ou casse ». Sauvé par un bizarre parfois hilarant, le roman manque d’une vraie cohérence et joue plutôt à l’empilement scénique, un effet accentué par le style, rapide, saccadé, la forme brève des chapitres, les continuels déplacements des principaux protagonistes, ce sentiment que le roman, jubilatoire, explose dans toute les directions. C’est l’héritage comics, sans doute, les ellipses façon bulles, la multiplication des situations qui répondent systématiquement aux même schémas.
Reste la question. Subversif, Ellis ? Ou pas vraiment ? Evidemment, il sert sur un plateau une Amérique ou tout est sexe, perversion, où les pratiques les plus étranges semblent monnaie courante. Mais justement. L’empilement du bizarre frise l’absurde, la subversion, si subversion il y a, se perd dans le comique. Et puis la love story qui se construit au fil des pages reste parfaitement romantique, si on l’extrait de son cadre déjanté. Du coup, de subversion, il n’y a plus guère. Quelques interrogations, peut-être, un regard décalé. Rien d’inoubliable, mais on a vu pire. Et puis, ce fantasme d’une Amérique qui retrouverait « sa beauté d’antan »reste un programme qui n’interdit presque rien.