Blackthorn commence par un point de génétique : le carton liminaire nous apprend que l’ADN des restes de Butch Cassidy ne serait pas le bon. Quelle fut donc la vie de Butch, après sa mort officielle ? Pour répondre à la question, Mateo Gil, coscénariste d’Ouvre les yeux et de Mar adentro, choisit l’angle de la vie en trop, de la vie comme persistance problématique dans la mort – ce dont parlaient déjà, chacun à leur manière, les deux films d’Amenabar. Pour décrire à quoi tiennent finalement les récits de Gil, il faut se poser la triste question de savoir « comment faire pour en finir ». Puisqu’il semblerait que de la même façon qu’on ne parvient pas à trouver le sommeil, on puisse avoir du mal à trouver la mort.
Le célèbre Butch Cassidy (alias Blackthorn, joué par Sam Shepard) n’a pas quitté la Bolivie depuis vingt ans. Il ne se sent plus tout jeune et décide de rentrer chez lui pour retrouver, avant de mourir, un fils qu’il n’a jamais vu. On voit ce que Shepard a pu trouver de typiquement wendersien dans cette amorce, et ce que les récits de mythologies agonisantes, à un moment plutôt souffreteux de sa carrière, peuvent avoir d’attractif. Mais il y a aussi le reste, c’est-à-dire l’intervention d’un jeune bandit nommé Eduardo (Eduardo Noriega) pourchassé pour braquage, avec lequel Butch va se lier d’abord par contrainte (retrouver une somme d’argent perdue par sa faute), ensuite par amitié.
Pendant ses quatre-vingt dix minutes, Blackthorn fait du surplace : la structure narrative, faite de redites, de boucles, d’incessants retours en arrière, est vite lassante. Tout comme ce refus de porter le moindre geste à son terme (interminables pertes puis récupérations de chevaux et d’argent, décision, par l’ancien traqueur de Butch, de le laisser partir lorsqu’il le retrouve enfin – parmi tant d’autres exemples), ou encore ces dialogues truffés de phrases indécidables, de pensées floues, comme autant de touches subliminales destinées à rappeler qu’on en a fini avec l’action, que la fin est proche et qu’il serait peut-être temps d’arrêter de vivre. Le film n’est pas sans atteindre une certaine étrangeté, lorsqu’au milieu de l’espace ouvert des paysages, montagnes et déserts, il parvient à susciter un bizarre sentiment de claustrophobie, ou quand l’inertie s’étend jusqu’aux figurants (surréaliste scène des Boliviens endormis). Mais ces fulgurances sont rares, et ne font au final que creuser l’écart entre ce que le film est et ce qu’il aurait pu être.
Dans Mar adentro, Javier Bardem était prisonnier de son propre corps. Dans Blackthorn, Butch Cassidy est prisonnier de sa propre légende, enchaîné à la mémoire d’un temps mythique dont il ne pourra se défaire qu’une fois mort. L’immobilisme frappe jusqu’au cœur des flashbacks, visions d’un jeune Butch cloué au lit, ou encore pris dans des fils barbelés, saucissonné, incapable du moindre mouvement – car le vieux bandit, c’est comme ça qu’on le comprend, se sent captif à l’intérieur de ses souvenirs. Fatigué de ne pas mourir, Butch trouvera une occasion de tenter de se sacrifier pour son ami. Unique moment, lors d’une chevauchée morbide mais rageuse, où l’ébauche la moins inachevée de sa (re)mise en mouvement, de sa tentative de reprise de liberté, de reprise d’air, arrive enfin.