Le tourisme caritatif se porte bien. Il n’y a guère que ce constat-là, assez consternant, pour expliquer l’enthousiasme qui, depuis sa présentation à Cannes (à la Quinzaine des réalisateurs – il faudra qu’on nous explique) jusqu’à sa sortie ultramédiatisée, accompagne ce très mauvais documentaire. A Kinshasa où, nous dit-on, ils ont déjà tourné deux films, Renaud Barret et Florent de La Tullaye sont tombés sur le Staff Benda Bilili, groupe local composé pour moitié de paraplégiques et qui bricole sur des instruments de récupération une musique entre funk et rumba congolaise. Le film est le récit de la success story orchestrée par les réalisateurs eux-mêmes qui, les filmant, décident de leur dégoter une production – un disque est enregistré, dont le succès mène la troupe jusqu’en Europe, sur la scène des Eurockéennes où se conclut le film. Que cette dramaturgie-là (« Des rues de Kinshasa au triomphe international ! ») soit l’unique sujet du film pose un double problème. D’abord on n’apprend rien, jamais, des Benda Bilili, rien qui en ferait autre chose que les sujets dociles de cette dramaturgie. De tout ce qu’il y avait à entendre d’eux, hormis la musique, Barret et de la Tullaye n’ont ramené que deux choses : dans la première moitié, l’exposé redondant de leur situation (la vie est dure à Kinshasa mais on s’accroche) ; dans la seconde, dès qu’ils font route pour l’Europe, l’émerveillement et la reconnaissance pour les petits blancs qui, du bout de leur DV, les ont tiré du ghetto.
C’est filmé avec les pieds, affreusement pittoresque (les plans de coupe qui, pendant qu’un musicien parle, viennent intercaler des visages d’enfants qui font coucou ou réparent leur vélo), absolument dépourvu de regard pour le groupe, dont on peine à distinguer les membres – d’un bout à l’autre, ils restent la même masse informe dessinée dans le brouillard de charité béate qui tient lieu au film de point de vue. Aucun autre contexte ici, et c’est l’autre problème, que celui de la fascination des deux réalisateurs, qui ne font au bout de compte que leur autoportrait en bwanas philanthropes. De ce point de vue, la deuxième partie (où le groupe est filmé découvrant un peu ahuri l’Europe qui les acclame au moment du concert) est assez détestable, et donne l’impression qu’il fallait rétribuer un exotisme (celui de la misère congolaise du début) par un autre (celui, pour le groupe, de la coupe de champagne dont on leur fait la faveur dans les loges). Des rues de Kinshasa au triomphe international : on est content pour les Benda Bilili (ce n’est pas la question, de toute façon), mais le film, lui, s’est trompé de route. Son horizon légitime était dans les pages illustrées d’un calendrier UNICEF.