Cela faisait presque un an que le label Apatow avait disparu des génériques. Un an, c’est peu, mais à considérer la vitalité et la fréquence de ses productions, ainsi que quelques échos un peu alarmistes expliquant qu’il rencontrerait quelques difficultés ces derniers temps, il y avait de quoi commencer à s’inquiéter. Autant dire qu’on guettait nerveusement la nouvelle livraison, redoutant les signes de mauvaise santé ou les indices de crépuscule. A première vue, American trip (Get him to the Greek, en v.o.) ne se prête pas vraiment à pareil pronostic : le film ressemble plus à un codicille, à une parenthèse légère, qu’à un nouveau jalon.
L’envie de revenir sur Aldous Snow, personnage de rocker esquissé par Sans Sarah, rien ne va !, était plus que compréhensible : on aimait alors l’idée que ce personnage multiforme ne soit réductible à aucune figure de chanteur connu, que le bigger than life se teinte par endroits de notations plus humaines. Aldous Snow était moins la figure parodique attendue qu’une création totale, monstrueuse, parfois incohérente mais qu’importe. On aimait que le personnage se compose sous nos yeux, dans un work in progress décousu. Sous cet angle, American trip n’est pas à la hauteur : le personnage n’apparaît plus suffisamment fort, ou suffisamment fou, pour justifier un film. L’acteur est seulement bon, là où il aurait fallu un génie (il faut se tourner vers la sitcom pour voir de quoi sont parfois capables Barney Stinson ou Sheldon Cooper, autres personnages extrêmement décalés, exploitant parfaitement cette dimension hors-norme à la limite de l’autisme tout en sachant retomber sur leurs pieds). Jonah Hill constitue à l’évidence un renfort de poids : toujours parfait, et parfaitement attachant, dans un mélange de jovialité et de déprime. Entendu, mais cette partition déjà jouée ne suffirait pas, à elle seule, à nous tirer plus que les éloges habituels.
Il y a plus ennuyeux. Au regard des grandes réussites apatowiennes, le film n’est pas extraordinairement drôle ou brillant. Son pitch remarquablement ténu (un jeune stagiaire, travaillant pour une maison de disques, se voit chargé de mener à bon port un rocker anglais capricieux, pour un concert exceptionnel) pouvait donner lieu à un road movie burlesque, voire un pur stoner movie. De ce côté-là, on est loin du timing et du génie comique de Supergrave. Le film enchaîne les mésaventures sans rythme, parfois sans conviction, et finit par ressembler à une succession de parenthèses vaguement reliées entre elles par des rustines scénaristiques mastoc.
Malgré cela, ou peut-être de ce fait, le film passionne. On pense parfois à Blake Edwards : La Party, mais surtout SOB, dont il réactive à merveille le parfum de décadence, baignant comme lui dans la description d’un show-biz qu’il démolit avec une joie farcesque. American trip, un peu comme Funny people, multiplie les guest-stars (première apparition ciné de Paul Krugman, quand même), enchaîne tournées des bars, joints et baises faciles. Il convient néanmoins de préciser (et ce n’est pas la moindre habileté de Stoller) que ce regard qui semble plus d’une fois moraliste s’accompagne d’élans insouciants et hédonistes. Il faut voir le producteur joué par P Diddy, peut-être ancien rappeur reconverti, péter les plombs, courir derrière une voiture puis se faire renverser par une autre. Se trouve-t-on en train d’admirer l’élan libératoire du geste, la vitalité retrouvée d’anciens rebelles embourgeoisés, ou au contraire d’assister à un début de déclin inéluctable : Vegas baby pour tout le monde ? Une des beautés du film est de ne jamais choisir.
Le caractère déstructuré de l’ensemble prend alors, peut-être, tout son sens. Les enfants d’Apatow en sont à un point où ils ne cherchent plus de solutions, ni même à aller un peu mieux. On avait dit ça de Funny people (dont celui-ci pourrait être le petit frère insolent) : George Simmons n’y apprenait strictement rien de sa maladie. Ici le scénario ménage encore de petits progrès : le rocker apprendra à passer outre les exigences de l’industrie, l’agent à fonder une vie familiale un peu équilibrée. Mais le film évolue cette fois dans une relative indifférence vis-à-vis de ces « leçons » qui apparaissent, du coup, assez artificielles. Aldous et Aaron font-ils le trajet du libertinage à la stabilité ou l’inverse, difficile à dire. Il n’est plus vraiment question de passer d’un point à un autre : plutôt de se mouvoir dans un no man’s land dont toutes les solutions ont déjà été explorées. Alors il n’y a plus qu’à réessayer, encore et encore : au risque du sur-place, le cinéma d’Apatow se caractérise aujourd’hui par une incertitude croissante qui n’admet plus que les tâtonnements.