Enfin un film qui pose une somme considérable de problèmes au spectateur : l’un des meilleurs et des plus beaux films de la rentrée. Oliveira est le doyen de notre cinéma. Le comble est que durant les années 90, il a réalisé plus d’œuvres que les jeunes Desplechin, Ferran et Podalydès réunis. Pour autant, on ne se soumettra pas aux lois hypocrites du paradoxe en affirmant qu’Oliveira pratique un cinéma de jeune. Ce serait une élucubration de fanatique. Les films d’Oliveira sont des films de vieux. A l’expérience de l’âge, il faut ôter la vigueur des premières fois, le tout donne le cinéma d’un réalisateur âgé de quatre-vingt dix ans. C’est original et c’est réussi, voyons pourquoi.
Oliveira se sert comme d’une antenne de cette idée qu’il faut prendre le cinéma comme art du temps. Chaque scène est construite selon le principe que c’est l’effet auquel on veut parvenir qui dicte la durée des premiers plans (et des suivants). Si, au début de chacune des trois parties dont se compose Inquiétude, l’on se met à attendre que quelque événement se produise, on rate l’essentiel de l’effet que veut produire le cinéaste. En effet, chaque début de séquence pose les pierres avec lesquelles seront bâties les cathédrales à venir. Il faut être patient (l’impatience n’est-elle pas le mal le plus terrible et le plus répandu de notre époque ?), comme on a appris à l’être en regardant et écoutant les films de Straub et de Kiarostami.
Un maximum d’effets requiert un minimum d’effets. Je m’explique : Oliveira veut amener le spectateur, à force de concentration, le plus près possible des sentiments qu’il met en scène. Le temps ne peut seul servir à pareille tâche : il faut de plus qu’aucun détail, qu’aucun parasite n’assaille la continuité du fil qu’il déroule avec mille précautions. Les artifices (du théâtre, des décors), l’immobilité, une précision sans faille aidant, et si vous êtes d’accord pour mieux regarder Inquiétude que le navet américain de la semaine, il y a des chances que vous soyez happés par ces histoires, et que votre dispersion naturelle trouve à leur contact une paix qui ne lui fera pas de mal.
C’est donc de sérénité qu’il s’agit. Au terme de ces trois histoires, la paix revient. C’est aussi en cela qu’Oliveira fait un cinéma de vieux : il ne résoud pas les conflits qu’il fait sourdre, il ne crée entre ses personnages et entre ses objets aucun lien à refaire ou détruire. Ses préoccupations, abstraites et posées, et tenant toujours aux « lubies » et aux rêveries des gens, sont les préoccupations d’un homme en paix et qui ne veut plus du glaive.
Mais on repense à la détresse du sonneur de cloches, abandonné de sa compagne devenue Mère des fleuves (ou sorcière, c’est selon) ; et la maladie de Suzy, la prostituée, dont il est à peine parlé. Oliveira s’étend trop peu sur ce qui pourrait poser problème : n’attendant que la paix, il omet la vie. La souffrance, la mélancolie ne sont pour lui qu’une seule et même nostalgie éteinte. En cela, préférons-lui Straub, dont les souvenirs et le génie servent au combat, pour lequel les nonagénaires ne sont plus faits.
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