Xavier Dolan, donc, est jeune et québecois. Au second de ces fardeaux, le pauvre ne peut rien: il n’y peut rien si la langue fleurie que parle son film est lourde, à l’oreille, du souvenir de son compatriote le plus exporté, l’infâme Denys Arcand. Le premier, en revanche, mérite d’être interrogé. Voilà, martèle-t-on, un authentique petit génie. Un premier film à 19 ans (J’ai tué ma mère), présenté à la Quinzaine des réalisateurs l’an dernier, un deuxième à 20, celui-ci, accueilli lui aussi à Cannes mais sous les ors plus officiels de la section Un Certain Regard : fortiche. Qu’on puisse s’émouvoir de cette précocité est compréhensible, d’autant que les films ne sont pas nuls, à condition de les considérer comme les objets de la légitime curiosité que cette précocité inspire. Mais si Dolan est précoce, la célébration de son tout jeune cinéma va plus vite encore. Il faudrait voir dans ce second film l’éclat d’un talent déjà mûr, dans les minauderies de son auteur la marque évidente d’un authentique cinéaste – deux films et c’est déjà presque une œuvre : au suivant. Pas sûr que ce soit un service à lui rendre, et d’ailleurs il suffisait de l’observer à Cannes prendre la pose de l’auteur en vogue pour voir que, bon élève et très malin, il a déjà bien perçu le profit à tirer de sa situation. Dans son application à faire fructifier la fraicheur du coup d’essai de l’an dernier, Les Amours imaginaires est déjà un film de vieux. Et si la jeunesse de Dolan est un problème, c’est parce qu’il a bien compris qu’elle est son meilleur atout, qu’il lui faut en faire commerce pour séduire les généreux jurés de son grand oral de cinéma.
D’ailleurs, et ça n’a rien d’un hasard : la jeunesse est le sujet. Il s’agit d’en faire le portrait sur le versant amoureux, sous une forme triangulaire qui, d’emblée, barde le film de tout un héritage cinéphilique. Francis (joué par Dolan) tombe amoureux d’un minet bouclé et hystérique dont s’entiche pareillement sa meilleure amie. Le bellâtre se laisse désirer, fait tourner les deux autres en bourrique, les plonge dans les affres de la passion juvénile. Cette jeunesse abordée par l’amont sentimental, qu’est-ce que Dolan a à en dire ? Qu’a-t-il à dire de la passion, du fantasme ? Que lui inspirent les thèmes de son exposé ? À peu près rien : le film est sans point de vue ni personnalité, c’est une broderie de clichés de cinéma (un peu de Nouvelle Vague, beaucoup de Wong Kar-wai et au-delà, toute une constellation du cinéma queer des années 90), qui voudrait passer pour un maniérisme (imparable argument du cinéma pop, idéalement couplé avec celui de la jeunesse) mais n’est que la récitation affectée de motifs que Dolan régurgite tels qu’il les a trouvés dans son cahier d’histoire du cinéma. Le coloriage est habile, soigné (c’est-à-dire : rien ne déborde), mais terriblement vain et dépourvu de souffle. Il faut voir ce qu’un cinéaste comme Araki, de trente ans son aîné, puise dans une matière par endroits assez proche, avec Kaboom (en salles le 6 octobre 2010), lequel non seulement est un excellent film, mais surtout cherche constamment le moyen de convertir l’essence de la jeunesse en moteur pour la mise en scène.
Pour donner le change, ici, les signes de la jeunesse sont partout. Par intermittence, Dolan les regroupe sous la forme de séquences faussement documentaires et assez piteuses, où un panel de jeunes québécois vient documenter la thématique à la manière d’un dossier du Nouvel Obs’. Pour dire quoi ? Que Dolan a un sujet, que la broderie pour cinéphile s’ancre en fait dans l’époque – qu’à travers lui c’est, littéralement, la jeunesse qui parle. L’artificialité absolue de ces moments dit bien combien Dolan est roublard et combien, décidément, il cherche à plaire. Il faut le voir aussi réciter, dans le dossier de presse du film comme dans les interviews, le précieux héritage littéraire dont il serait le dépositaire, Musset, Racine, Stendhal, Barthes, on en oublie. Cela dit, Barthes n’est pas une mauvaise piste pour éclairer le phénomène Dolan, à condition de viser le bon. Pas celui des Fragments dont Dolan se prévaut, plutôt celui des Mythologies, quand Barthes y disséquait le cas Minou Drouet, prodige littéraire qui, du haut de ses huit ans, mit en émoi la France des années 60. Tout y était dit, déjà, du mythe rassurant de la jeunesse, de celui bourgeois de l’enfant prodige qui vaut à l’œuvrette de Dolan l’accueil onctueux et disproportionné qu’on lui fait. Dolan a tout le temps de devenir le cinéaste en quoi aujourd’hui le déguise hâtivement, et même, on le lui souhaite. Mais restons pour l’instant sur le terrain qu’il s’est lui-même choisi, corrigeons la copie : Xavier, tu as fait un bel effort de présentation, mais il faudra veiller dans un prochain devoir à fournir un travail plus personnel.