Air doll est l’adaptation d’un manga : déjà, quelque chose inquiète et semble ne pas faire bon ménage dans cette rencontre improbable entre auteurisme un peu desséché de Kore-Eda et culture pop aux ascendances SF. Les premières séquences confirment que le thème abordé, malgré ses airs de Ghost in the shell houellebecquien (l’errance sentimentale d’une poupée gonflable qui s’anime et se découvre un coeur), ne va pas être une partie de plaisir. Premier problème, le surjeu tout en minauderies de Bae Du-na (la Giulieta Masina coréenne, qu’on avait tant aimée dans The Host) qui transforme le personnage en une sorte de sous-mime Marceau à perruque pendant les trois quarts du film : ses roulements d’yeux et mouvements saccadés de clown de rue font souvent ressembler Air doll à un numéro du « Plus grand cabaret du monde », annihilant toute possibilité de s’accrocher au scénario. Ce dernier, justement, ne vaut pas beaucoup mieux : alors que le film semble poser une étrange relation de couple, il évacue rapidement le personnage du « mari » (traité comme un neuneu de pièce de boulevard) au profit d’un récit initiatique terriblement gnangnan sur le mode : c’est quoi l’amour / c’est quoi la mort.
La poupée se ballade en ville la journée, rencontre un pépé philosophe récitant des haïkus (la société moderne va trop vite, les gens n’ont plus le temps de rien, le monde court à sa perte) et tombe amoureuse d’un jeune clampin sympa. Le film part dans tous les sens, gonfle sans prévenir (la scène interminable de promenade dans la ville, presque un quart d’heure) et abuse d’une musique au pipeau censée peut-être remémorer la sublime partition de Fiorenzo Carpi du Pinocchio de Comencini. Le résultat est désastreux, décrédibilisant pour longtemps un cinéaste dont la rigueur un peu contrite a souvent tenté de se faire passer pour une ascèse bressonnienne. Or Air doll n’est au contraire qu’un gros déluge de guimauve se donnant des airs de sérieux et dont la mise en scène, d’une rare indigence, se limite à refaire le même mouvement de caméra à tous les plans, à chaque fois un peu plus lentement, en tournoyant d’un air intimidant autour de personnages sans épaisseur. Le potentiel de morbidité du sujet, la grandeur baroque qu’il appelle ne sont effleurés que par instants : mais Kore-Eda n’est ni Bava ni Cavalcanti, repartant aussi vite qu’il le peut sur les rails de sa fable gâteuse. Trop fier, peut-être, d’avoir trouvé la clé pour vendanger dans les grandes largeurs ce beau sujet au profit d’un interminable pensum mélodramatique de plus de deux heures.