Hormis ceux qui ont dans leur famille un membre de l’équipe du film, ceux qui se sont demandés ce qu’est devenu Smaïn et enfin, ceux qui ont décidé d’écrire sérieusement un texte sur ce film, qui réussira à voir Bingo ! en entier ? Tout dans ce film a déjà été fait, tout et depuis longtemps déjà. Comment peut-on tourner aujourd’hui, une comédie (jouant sur les dialogues et les situations) en faisant abstraction des 102 ans de cinéma déjà écoulés ? Il est vrai que l’on doit réussir à oublier ce que l’on a vu par ailleurs, le jour où on réalise son propre film, mais il me semble que l’on doit également avoir la certitude de participer avec un ensemble d’individus qui, tout en proposant des oeuvres cinématographiques, s’interrogent sur l’essence même du cinéma. Rien de ceci dans Bingo !
Le film nous narre l’histoire banale d’un joueur invétéré (Smaïn) qui rêve d’une grosse somme d’argent pour partir au soleil et quitter le milieu pourri qu’il fréquente. Des observateurs attentifs de l’Histoire de la comédie se régaleraient à étudier ce film truffé de bons mots comme : « Les cartes, c’est pas comme la Joconde, ça sourit pas tout le temps » ou « L’inspiration, c’est comme les huissiers, ça prévient jamais quand ça arrive ». Les gags visuels restent au niveau zéro du comique ; exemple emblématique : Benguigui et ses deux idiots de bandits règlent son compte à un voleur de voiture qui se fait passer pour un employé des fourrières, mais voilà, la voiture est restée en suspension et le voleur est mort, l’un des lascars manipule les manettes et la voiture s’écrase par terre…
Les bandits minables et idiots, l’écrivain raté, la belle jeune femme… tous ces personnages caricaturaux ont été vus cent fois, souvent dans des films bien meilleurs. Le choix d’un humour « salace » rappelle la comédie espagnole qui sortira à la rentrée : Torrente. Santiago Segura a réussi au moins a fonçer dans le tas, sans se poser de questions de moralité et sans en susciter. Maurice Illouz, lui nous sert à plusieurs reprises des leçons de moralisme qui alourdissent encore plus son film. Benguigui joue le rôle d’un arménien, petit truand violent et mesquin. « Ils sont tous comme toi les Arméniens ? » lui demande Daniel Russo. « Dis pas de mal des Arméniens, c’est le peuple le plus adorable de la Terre, moi je suis une brebis galeuse » lâche-t-il, filmé en gros plan par Illouz qui non seulement nous prend pour des imbéciles mais en plus choisit un discours mou et consensuel.
Le riche asiatique qui organise des parties de cartes se dégagerait de la platitude des personnages s’il ne rappelait l’acteur japonais Sessue Hayakawa, qui lui aussi, tout de blanc vêtu, est lié à l’univers sombre des cartes et de la roulette, notamment dans Macao, l’enfer du jeu de Jean Delannoy. Peut-être, s’arrêterait-on sur le personnage de Roger Pierre atteint d’un tic qui l’oblige à terminer ses phrases par une insulte… même pas, il rappelle trop certains caractères ahurisssants qui hantent les films de Mocky (comme Rouleau dans La Grande frousse). Non décidément, il n’y a rien à sauver dans ce film…