De son sujet largement cinégénique (la présence des fantômes parmi les vivants, la représentation d’une pure subjectivité), Je ne vous oublierai jamais ne tire étrangement aucune séduction. Le nouveau film de Pascal Kané pêche en effet par son absence d’ambiguïté, une platitude accompagnant jusqu’au bout la trajectoire de Levilé, jeune étudiant juif polonais attendant en vain dans le Marseille occupé (l’action se situe en 1941) sa mère et ses deux sœurs en vue d’une fuite vers l’Argentine. Dès le départ nous est trop évidemment insinué que la proximité des trois femmes avec Levilé n’est que pure vue de l’esprit, que le jeune homme, suite à la lecture d’une lettre lui annonçant leur probable disparition dans les camps de la mort, ne vivra dorénavant que dans le déni de sa tragédie. Manque alors tout du long la promesse d’une interaction entre cette obsession et les manifestations plus rugueuses du réel. S’évanouissent trop vite les espoirs d’un possible flottement esthétique inhérent à la cohabitation du palpable (le quotidien de cette France occupée, la protection d’un couple de Juifs, la concurrence amoureuse entre Levilé et un haut fonctionnaire collabo…) et du vaporeux (ces trois figures qui ne sont que le fruit d’une conviction, d’un aveuglement face à l’insupportable).
Optant pour une approche assez romanesque d’un récit partiellement inspiré de sa propre histoire familiale, le cinéaste semble s’obstiner de scène en scène à ne pas travailler le souffle au corps, ne donnant aucune raison d’attendre ne serait-ce qu’un rebond dans son déroulement. Que le choix d’une restriction, d’une contenance presque excessive des élans mélodramatiques ait pu sembler nécessaire à la préservation d’une atmosphère un peu ouatée n’est pas tant le problème. Embarrasse surtout que de ce trop plein de retenue résulte progressivement ce que le cinéma peut proposer de pire : l’absence totale d’attente, de désir de voir s’édifier progressivement une résolution, quelle qu’elle soit. Tout modeste soit au départ ce projet de film de fantômes sans spectacle, n’importe au final que ce qu’offre l’écran : une pâleur d’ensemble un peu anesthésiante.
Je ne vous oublierai jamais est un peu au Sixième sens ce que Mademoiselle Chambon est à Sur la route de Madison : une sorte de succédané confirmant si besoin était que dans l’excès comme dans la retenue, le cinéma de genre de chez nous manque trop souvent de ce petit quelque chose que l’on ne saurait nommer. Une conviction ? Plutôt une visée esthétique du scénario. Un grand réalisateur de films de genre semble penser ses histoires bigger than life à partir du spectateur qu’il demeure. Là où d’autres semblent ne se soucier que de lecture, de la juste réception d’un message presque inaudible sur grand écran. Dans « Je ne vous oublierai jamais », on comprend trop bien que le « vous » n’est destiné qu’aux trois femmes de la vie de Levilé. Là où l’on préfèrerait croire encore que face à toute histoire qui se respecte, la nuit appartient avant tout au spectateur.