En 1977, guerre des sexes et chaises musicales à la direction d’une usine de province : le patron, très old school, cède sa place à sa potiche de femme, qui s’en tire mieux que prévu. Adaptation d’une pièce de boulevard des seventies avec Jaqueline Maillant, Potiche garderait son caractère rance et flapi s’il n’était dirigé par François Ozon, encanailleur préféré des stars du cinéma français. L’idée du remake vise donc clairement à transcender le matériau de base, un peu comme si Godard revisitait Mon curé chez les nudistes. Pour cela, Ozon a deux trucs imparables : une chef déco du tonnerre qui lui a dégoté les meilleurs accessoires vintages, et le gratin du show-biz, prêt à s’amuser avec lui. Sur ce plan, le film est un chef-d’oeuvre. Tout est là, bien ordonné, l’idéal pour garnir une bande-annonce : les vannes machistes, les allusions au présent (Luchini, qui joue le boss réac et dit : « Casse-toi pauv’con » ; Deneuve qui joue clairement à Ségolène Royal) les costumes bien repassés, la conscience aigue d’un délire chic savamment entretenu. Et puis les stars, évidemment, puisqu’il s’agit d’un film d’acteur où l’on se regarde cabotiner gaiement, où l’on crache sur son mythe pour mieux le cirer dans le plan suivant.
Dans la cinéphilie béate, Potiche fait très fort : Deneuve retrouve son vieil amant Depardieu (séquence émotion : un médaillon renferme deux portraits des acteurs période Dernier métro), pendant que son usine fabrique des parapluies de toutes les couleurs (Jacques D., si tu nous regardes) – plus tard, Catherine danse comme Travolta dans une boîte multicolore. Il y a tout plein d’autres clins d’œil un peu moins évidents (Douglas Sirk, vu le sujet, il fallait y penser), de sorte que très rapidement, le film se pose en partie de Trivial Pursuit pour vieilles rombières à bagouzes. Outre l’horripilante coquetterie du name dropping – permettant au film de décrocher le label « comédie haut de gamme » qui le distingue d’un bon vieux Chatiliez -, on ne voit pas vraiment l’intérêt. Mais Potiche se borne justement à tout ramener à la surface, fièrement lisse, creux et superficiel, cadrant tout de face, et de plain-pied : les super costumes seventies, les petits détails de l’époque – c’est une suite de plans griffés. Voilà en somme, l’unique inconscient de Potiche : filmer le rêve éveillé de Dominique Besnehard, faire se rencontrer les stars, les déguiser comme dans les shows des Carpentier.
Un mot sur Catherine Deneuve, vraiment drôle et vivifiante, dans ce rôle en charentaises qu’elle transcende sans forcer, en bon monstre sacré. Question monstre, il y a justement un problème, qui échappe de peu à la superficialité forcée du film et lui donne une tournure un peu maladive, mais plus fascinante que le reste : le visage lissé par le botox de la reine Catherine, plus inexpressif que jamais. Par-delà le signe ostentatoire d’une mutation sociale (le nouveau visage des femmes âgées riches) qu’on peut vérifier chaque semaine dans les pages de Marie Claire, le botox impose à la star un défi colossal : convaincre le spectateur qu’il se passe quelque chose sous ce visage, créer de l’émotion et du simulacre à partir d’une matière impossible à assouplir et à ranimer. Deneuve y parvient malgré tout, comme Adjani dans La Journée de la jupe, par la puissance du regard, de ses intonations. C’est admirable : une actrice normale ne s’en remettrait pas.