Gil Scott Heron est devenu une légende, c’est-à-dire qu’il a un statut dans le monde de la musique entre celui d’une star et d’un fantôme. D’une star, grâce à son tube que tout le monde a fredonné, l’hymne situationniste grand public The Revolution will not be televised, et d’un fantôme, car Gil Scott Heron demeure malgré sa voix brisée, si à même de raconter les fractures de l’Amérique, un poète rétif à la classification. Depuis son album précédent qui remonte à 1998, l’artiste a surtout connu la prison pour consommation de drogues, et violences domestiques. Mais puisque poète il est, Gil Scott Heron n’a pas fait comme tout le monde, et ce n’est pas le goût du plaisir facile mais la mort de sa mère qui le fit plonger dans le marasme dont il est sorti aujourd’hui, en survivant. Il faut bien sûr, parler de la voix de Gil Scott Heron, si éraillée mais assez ample, aussi à l’aise pour réciter et faire sonner les mots sur un accompagnement simple en « spoken words » que pour chanter un désespoir nocturne, où l’anxiété brille. Car c’est dans sa voix, que semble s’être réfugiés le passé et l’expérience de l’artiste, faisant de lui un véritable bluesman / jazzman actuel. C’est une voix âgée, marquée mais qui n’appuie pas, et glisse rapidement, comme une complainte légère, bien que la tristesse domine sur le disque.
Il faut par exemple écouter New York is killing me en prenant les paroles très au sérieux. C’est une sorte de gospel ruiné, de blues saccadé qui rappellera à tous ceux coutumiers des galères urbaines, que la cité tue. Et qu’on ne rentre pas toujours chez soi. Aucun didactisme, dans ce disque confession. Gil Scott Heron ne prêche pas, il ne prétend pas être renouvelé, ou régénéré, c’est un témoignage d’inconfort. Pourtant, I’m new here s’il n’est certainement pas une promenade de santé, au parc avec les enfants, et qu’il prend son inspiration du côté obscur, ne provoque aucun malaise chez l’auditeur. C’est comme écouter quelqu’un de discret qui vous parle de sa vie, et dont vous savez qu’il ne ment pas. Une expérience donc, musicale bien sûr, mais aussi humaine. Car parfois, on se ressource à la douleur des autres, et qu’ils la chantent, au moins aura justifié leur trajet. Saluons donc le retour d’un Gil Scott Heron, toujours habité.