Quelque part en Afrique, la ferme d’une petite famille de blancs est menacée par la guerre civile. Le nouveau film de Claire Denis évoque quelques réminiscences radieuses (l’Afrique de Beau travail, l’errance existentielle de L’Intrus), mais arpente des sentiers finalement moins attendus. Version hypnotique et lounge des films qui ont tenté, ces derniers temps, de revenir sur le conflit rwandais ? L’imaginaire du film est plus complexe, trouvant ses racines dans l’enfance camerounaise de la cinéaste, entre questionnement identitaire (le personnage d’Isabelle Huppert, entre Mère Courage et chef d’entreprise tout en mépris et raideurs) et évocation onirique. On reconnaît dès les premières séquences la patte de la réalisatrice, instaurant un climat de langueur et de rêverie épouvantée sous le soleil étouffant de l’Afrique centrale. Dans la savane, la menace gronde et enfle le récit d’une indicible terreur. Tandis que les habitants fuient et que rôdent des nuées d’enfants-soldats autour de son domaine, Maria tente de convaincre son entourage de rester pour la récolte. White material tourne autour de cette unique obsession (le refus de s’arracher à sa terre), au risque d’un surplace aux limites de l’autisme.
Est-ce la raison qui rend le film – et son héroïne terriblement froid, voire inatteignable par instants ? Rivé à son obsession, reclus dans une sorte d’angle mort psychologique, comme coupé de tout point de vue extérieur, White material avance à l’aveugle, tâtonne et s’en remet parfois à une pure avancée mécanique. Le personnage d’Huppert porte le film autant qu’il le paralyse, ce qui a pour premier effet de renvoyer chaque séquence – intime, familiale ou en mode reportage de guerre – vers une même ligne de front. Cette ligne où se dissipe toute perspective, le film s’y consume à petit feu, comme étourdi par sa propre inertie. Mais mis à part le personnage du fils rebelle (Nicolas Duvauchelle), dont on peine à suivre le parallèle avec les enfants-soldats, c’est dans cette inertie générale que White material puise son magnétisme et sa réelle singularité. Le refus de Maria, cette manière de célébrer avec obstination l’impossibilité de s’opérer d’une part d’elle-même (sa propriété et sa petite entreprise face à l’immensité du monde) sont comme une fièvre : entre évaporation lyrique et dégagement rêvé, le film brille comme un voyage immobile se consumant de l’intérieur.