Etrange, comme Christian Oster refuse, livre après livre, d’écrire un véritable roman. Dans la cathédrale, estampillé comme tel en couverture, est une énième variation autour du personnage, du personnage en tant que territoire couvrant chaque page, chaque phrase, chaque mot. Non que son dernier texte ne remplisse pas le cahier des charges du roman à la française : un décor bien planté, une poignée de personnages secondaires aux fonctions aussi définies qu’anecdotiques, des moyens typiquement romanesques de locomotion et de communication – nul doute qu’aux yeux de nombreux lecteurs, la dernière livraison des Editions de Minuit usurpe pas le genre qui lui est affilié. Il est cependant assez déroutant, comme toujours avec Oster, de se retrouver face à un narrateur volontairement esseulé, livré 140 pages durant à une avalanche de deus ex machina plus poussifs qu’autre chose et relançant une trame narrative finalement bien maigre.
Jean, personnage-livre donc, est parisien, et, c’est une habitude chez l’auteur, se retrouve à quitter Paris par besoin, nécessité ou simple envie de prendre l’air. Fort éloignées de la Normandie d’Une Femme de ménage, ce sont cette fois-ci Langeville et Chartres qui fonten quelque sorte office d’un Roubaix à la Desplechin dans Un Conte de Noël. C’est d’ailleurs là le (seul) véritable tour de force d’Oster (et, par conséquent, la faiblesse de Desplechin) : d’un bout à l’autre, son personnage, modèle citadin, semble assumer, sous les traits d’introspections cocasses, qu’effectivement des individus arrivent à exister en province. Quand Jean rencontre, après une chute de vélo providentielle, un agriculteur au volant de son tracteur, il se demande « depuis combien de temps [il est] allé au cinéma » mais surtout ce que lui-même « sait de l’agriculture ». Ainsi Oster évite-t-il l’écueil du parisianisme grâce à la mise en scène d’un personnage certes étranger au monde provincial mais qui jamais n’en déplore l’existence. Plus encore, c’est souvent la curiosité qui l’emporte et le style drolatique de l’auteur rend ce décalage Paris/Province particulièrement savoureux.
Il n’en reste pas moins ce sentiment étrange d’avoir affaire à un portrait plus qu’à un roman. Bien sûr, il y a une femme. Bien sûr, Jean en tombe éperdument amoureux malgré son mariage programmé une semaine plus tard avec son rédacteur en chef. Jamais pourtant les relations entre les personnages ne sont véritablement approfondies et, en ce sens, Oster fait de l’autofiction fictionnelle : Jean semble crier « Moi, moi, moi », seul parmi une foule de seconds couteaux qu’il ne comprend qu’à moitié. L’entreprise est intéressante – et pour les amateurs, toujours aussi plaisante à lire -, même si Oster semble tourner en rond depuis Mon grand appartement en perfectionnant ses croquis d’individus-héros isolés. Les dernières pages, que l’on pourrait dévoiler ici tant elles ne présentent pas plus d’importance que les autres et ne font que justifier le titre, confirment, s’il en était besoin (et l’en était-il ?), le statut particulier de Christian Oster dans le decorum littéraire français : un peu en marge sans trop l’être non plus (en gros, situé dans une cathédrale de province, fût-ce la cathédrale de Chartres), désespérément seul aussi, jusqu’à ce qu’enfin, brièvement, « devant tout le monde », quelqu’un prenne « sa main dans les siennes ».