Toutes les personnes en psychanalyse depuis plusieurs années en témoigneront. L’enjeu de l’exercice analytique ne consiste pas tant à dire les choses qu’à les reformuler. Après plusieurs itérations littéralement errantes, sur la voie d’une expression juste de ce que représente culturellement Silent Hill, il semblerait que Climax ai enfin dénoué le fil d’Ariane qui ramène la licence de Konami, depuis longtemps maudite, sur le chemin qu’elle n’aurait jamais du quitter, celui de la ballade introspective et schizophrène.
Une reformulation donc, qui en réécriture cut-up du premier épisode sorti en 1999 remet en scène ses différents acteurs et quelques-uns de ses lieux-dits sur un mode narratif radicalement différent. A la suite d’un accident de voiture, Harry Mason est à nouveau à la recherche de sa fille perdue. Forcément, ce n’est qu’un détail. D’un indicible trop large dans un environnement intelligemment saturé, la quête de Harry n’est qu’un signe parmi d’autres. Ce Silent Hill-là, destination si fortement espérée et paraissant hier tellement lointaine depuis son indépassable second épisode, voit ses murs couverts de symboles familiers, de publicité, de détails témoignant d’une activité humaine démissionnaire. Des chambres glauques aux cendriers plein, aux lits défaits et aux bouteilles d’alcools vides. Des dizaines de numéros de téléphones (au joueur de les composer) comme une langue chiffrée d’un american dream qui ne répond plus.
Le premier sombre miracle de cette renaissance tient tout entier dans ces longues phases d’exploration à la lampe torche et à peine perturbées par quelques ombres. A la frontière du non jeu, elles forment bout à bout une ballade contemplative mélancolique d’une langueur inquiète. Et si l’on cherche parfois une clé ou un indice mécanique, jamais l’obtention du précieux sésame ne vient trahir par l’artifice l’essence de la ville, la tristesse de sa désertion. Silent Hill est un empire state of mind.
En parfait double négatif de cette exploration calme et solitaire, Silent Hill altéré et emprisonné dans la glace se transforme en labyrinthe frénétique. Les monstres de chair violacée cette fois-ci d’une vélocité redoutable ne peuvent être battus (tout au plus ralentis à la faveur d’un bien nommé feu de détresse). Physiquement épuisantes, ces courses poursuites obligent le joueur à se fier à un bien traître sens de l’orientation. En comparaison des autres Silent Hill altérés qui, dans les épisodes précédents constituaient une partie exploration à part entière, un vrai sentiment de libération s’empare du joueur quand enfin il s’échappe de ce cauchemar glacé. Revers de la médaille, la scission nette entre les deux phases (exploration et course poursuite) donne un sentiment de sécurité étrange voire déplacé (pour un survival) lors de la première.
En vérité, en prolongation conceptuelle directe de la descente orphique de Silent Hill 2 nous ne sommes presque plus dans un survival. Pas d’armes, pas de médicaments, pas de barre de vie, cette volonté de rupture se traduit jusque dans sa brillante interface, intégralement contextualisée sous la forme d’un téléphone portable (version modernisée de celui GTA IV) que l’environnement hanté de souvenirs douloureux de la ville fait entre autres résonner de messages grésillants et sombres dans le speaker de la Wiimote. Aussi last gen que peuvent en témoigner ses graphismes (qui tiennent pourtant le haut du pavé sur Wii, mention spéciale aux effets de lampe torche, sublimes), le soin constant apporté à l’immersion (temps de chargement et check point invisibles, panneaux et inscriptions dans le décor tous parfaitement lisibles), l’intelligence de sa conception, n’a absolument rien à envier aux meilleures productions HD. On ne peut bien entendu que regretter que toutes les brillantes propositions de ce Shattered Memories ne s’accompagnent pas de la claque technique des jalons de la série Silent Hill 2 et 3. Qu’importe !
Dernière strate de l’expérience Shattered memories, les bons soins du Docteur Kaufmann dévolus à établir le profil psychologique (ou sadiquement le désorienter ?) du joueur lors d’inconfortables séances d’analyse (influant réellement sur certains détails de la narration et dont nous tairons ici les tenants et les aboutissants) tout au long des tribulations de Harry pour retrouver sa fille. Un nouvel horizon digérant les mécanismes du genre lifestyle pour les mettre au service du récit se dessine prodigieusement fécond pour la série de Konami. Au final, Climax a opéré une réinvention totale, audacieuse et volontiers expérimentale qui redore le blason infâme de la maudite bourgade. Et s’il faudra rejouer au moins une seconde fois pour prendre l’exacte mesure du tragique (triste à pleurer) dans cette vraie fausse histoire de perte de l’être aimé, il suffira d’un seul run pour constater sa belle réhabilitation. En lettres d’or, tâchées de sang et de larmes, elle se dresse à nouveau. Silent Hill, capitale de la douleur.