Succédant au désastreux Villa Amalia, sorti l’an passé, Au fond des bois a avant tout le mérite de restaurer une certaine confiance en Benoît Jacquot, cinéaste inégal mais talentueux qui a eu tendance à se fourvoyer ces derniers temps dans des entreprises de pure démonstration de style (Sade, La Fausse suivante, Adolphe…). Retrouvant sa muse et ex compagne Isild Le Besco quatre ans après L’Intouchable, beau film épuré, il s’appuie cette fois sur un fait divers relaté en 2005 dans Libération par l’historienne du droit Marcela Iacub pour poursuivre une ligne auteuriste caractérisée par la défiance commune et franche du corps et de l’esprit. L’obsession de ce cinéma reste la même : mettre à jour des états physiques et psychiques précis et singuliers, par le biais du suivi de trajectoires inflexibles, toujours très linéaires. L’histoire de cette fille de médecin suivant un jeune vagabond «au fond des bois » (le cinéma de Jacquot est effectivement des plus littéral, jamais trop obscur) intrigue surtout par la mise en perspective d’une potentielle influence, une manipulation mentale vouée à être plus tard réévaluée sous forme théorique et discursive (le procès). De vierge effarouchée, Isild le Besco devient au fil des plans aussi sauvage, sinon plus que son compagnon. Initiation par la douleur et la violence confirmant bien que là où le flegme d’Isabelle Huppert inspirerait chez le cinéaste des scénarios d’élévation, de soustraction au réel, l’énergie de Le Besco le conduirait a contrario vers des récits plus organiques et sauvages, une dimension plus impure et accidentée de son cinéma.
On n’est jamais loin de soupçonner chez Jacquot, y compris dans ses plus beaux films des années 90 (La Désenchantée, La Fille seule, Le Septième ciel), une certaine arrogance, inhérente à la maîtrise trop évidente de ses sujets. Comme une hyper-conscience d’être quelque part inégalable dans son domaine : celui d’un cinéma d’auteur très « français », faisant précisément de sa sur-caractérisation un concept, une théorie, plutôt qu’une affirmation. Le septième ciel, en même temps qu’il abordait une question assez typique du cinéma français grand luxe (la crise du couple, le mal être féminin), travaillait par exemple à ouvrir progressivement son postulat à des niveaux de lectures légèrement plus flous, des angles d’approche plus flottants. L’hyper-lisibilité de ce cinéma est de celles qui, lorsqu’elles ne se satisfont pas trop d’elle-même, invitent à réinterroger constamment le récit, les personnages, malgré l’hypothèse première que tout aurait déjà été dit. Suspension du sens plus d’une fois soumise au risque de sacrifier l’incarnation à la seule expérimentation, dont Villa Amalia fut en quelque sorte le point limite. Là où Au fond des bois, bien aidé il est vrai par la vaillance, l’aplomb de ses acteurs, réussit à accrocher par sa furie durant ses deux premiers tiers, avant de s’égarer dans un dernier acte trop exclusivement consacré à l’insinuation, lors du procès du vagabond, des innombrables niveaux d’interprétations du phénomène (Joséphine Hugues, sous influence ou non ?).
Jusqu’ici inconnu en France, Nahuel Perez Biscayart, qui interprète Timothée Castellan, le vagabond, est assurément la véritable révélation du film, sa manière de s’engouffrer jusqu’au bout dans l’animalité de son personnage ne manquant pas de pousser sa partenaire dans ses derniers retranchements. Rarement en effet le jeu très physique de Le Besco aura été autant mis à l’épreuve, la rencontre avec la folie, la bestialité de Biscayart conférant à deux-trois de leurs scènes communes un caractère proprement hallucinatoire. Inconfortable, excessif, toujours au bord de la caricature, Au fond des bois n’est certainement pas le film le plus aimable, ni le plus séduisant de cette rentrée. Reste qu’à de nombreux égards, et encore une fois en regard du ratage absolu de son précédent opus, Jacquot parvient à livrer ici un film achevé, convaincu et risqué, laissant augurer pour la suite d’assez beaux lendemains.