Bien qu’indolore, la vision du troisième long métrage de l’Islandais Dagur Kári (après un surestimé Noi albinoi et un Dark horse plus confidentiel) s’accompagne d’un inconfort persistant. « Inconfort » ne signifiant pas rejet, mais scepticisme, difficulté à mesurer le réel degré de confiance du cinéaste en la viabilité d’une esthétique obstinément poisseuse. Une forme de claustrophobie ambiante est en effet la ligne directrice de chaque séquence – même extérieure – de The Good heart, certes inhérente à la prééminence du bar du vieux Jacques, où siège le film au moins pour les trois-quarts de son temps. Mais une claustrophobie excédant aussi les seuls décors pour s’incarner dans les corps de cette comédie de l’amorphie. Rarement des personnages auront semblé aussi peu furieux, autant préservés du débordement de leur être au-delà du cadre ultra-circonscrit de scènes sur écrites.
Ce minimalisme assumé, cette non aspiration à l’éclat est une réelle qualité du film, rendant difficile le refus de sa modeste invitation tout en coupant court par là même à tout espoir de supplément. Comme un Punch-drunk love (ce goût pour les inadaptés, les amours entre cabochards sympas ne manque pas d’y faire parfois penser) en plus compressé, moins emphatique, The Good heart distrait donc sans que jamais ne vienne à l’idée d’attendre de cette restriction des perspectives la moindre mise en crise. Le risque aurait bien sûr été de deviner chez Kári quelque aspiration à l’universalité, une ambition de signifier plus que ce qui se donne dans ses ternes images. Là où au contraire l’aventure singulière de Jacques et Lucas, le récit du projet de l’un de faire de l’autre (jeune SDF suicidaire qui partagea quelques jours sa chambre d’hôpital, suite à sa dernière crise cardiaque) son héritier, le futur propriétaire de son bar séduirait surtout par sa parfaite absence de suspense et d’ambiguïté.
Outre les duettistes Paul Dano (plus chien battu que jamais, mais pas mal) et Brian Cox (toujours bluffant, lui), une part de la réussite du film revient à Isild Le Besco. Son emploi comme élément perturbateur de cette belle amitié virile ne mérite en lui-même aucun commentaire. Mais perdure en elle, depuis dix bonnes années qu’elle nous fait son cinéma, le miracle d’une étrange cinégénie sans rivale – ne seraient-ce Hafsia Herzi ou Julie Sokolowki, l’héroïne d’Hadewijch – parmi les jeunes actrices françaises. Quelque chose chez Le Besco dépasse le simple jeu, la seule conviction du geste et du mot. Plante verte, elle participe ici fortement au charme d’un film excluant obstinément l’éventualité du battement d’aile. A son contact, le personnage de Lucas prend du relief, la moue de Paul Dano gagne presque en nuances. Arrivant à lui comme ça, un soir, parce que le scénario le voulait bien, April traversera ainsi le film sans promesses ni grandeur, juste à prendre ou à laisser. The Good heart vaut pour tout ça, cette constance dans la platitude, cette égalisation sans effets de tout motif, interdisant jusqu’au bout le moindre soupçon de malignité de la part de son auteur. Rien de bien décisif ne s’y dit, aucune scène ou réplique qui laissent, au final, le moindre souvenir. Mais comme on dit : c’est déjà mieux que rien.