Après Takeshis’ et Glory to the filmmaker !, tentatives globalement foirées de mettre en abyme ses pannes d’inspiration, Achille et la tortue, nouvel essai kitanesque, n’est pas loin de changer enfin le plomb en or. Il faut dire que, contrairement aux films précédents, brouillons de la première à la dernière image, celui-ci part d’une idée hilarante, qui plus est consistante : biaiser les fondamentaux du biopic par une guigne plus collante pour son héros que le sparadrap du capitaine Haddock. On suit donc la vie du peintre le plus poissard du Japon, dont les échecs multiples, de la prime enfance à la presque mort, n’entament en rien la quête de consécration. Cette conviction de petit taureau devient logiquement la grande ligne de force du film, son unique pole d’attraction. Essayer, s’emplafonner, se relever et recommencer : Kitano, cinéaste ou héros, peu importe, est convaincu que la rengaine, filmée au pied de la lettre, aboutira au salut.
Avant de s’imposer comme une renaissance, Achille et la tortue se lit d’abord comme un exercice d’infiltration qui vire à mi-parcours en machine purement cannibale. Une mutation qui relève presque du canular : une séquence -la formation très spéciale de l’aspirant peintre aux Beaux Arts – agit comme un point de rupture en forme de surprise euphorique : une sorte d’épreuve de vérité donnant à Kitano l’occasion de prendre le film d’assaut et dérouler ses figures favorites, juste pour savoir si elles fonctionnent. Après une reconstitution historique plutôt sage en guise d’ouverture (une fable à la Dickens, agrémentée de quelques tableaux naïfs du maître), on y voit des étudiants bardés de pots de peintures foncer contre un mur blanc. Explosion de couleurs, burlesque un peu kitsch, poésie foutraque et bariolée : le film, à la manière d’un incroyable Hulk, se transforme alors brutalement, comme possédé. Pour preuve, une scène plus tard, Kitano, resté jusque là en hors champ, devient lui-même le personnage.
Toujours omniprésente, la mécanique de la lose s’emballe, le peintre Kitano tente tout et n’importe quoi, mi-survolté mi désespéré : les pastiches défilent à vitesse supersonique, les tableaux s’empilent, certains anodins et pathétiques, la plupart absolument jubilatoires. Et le film, entièrement soumis à sa logique compulsive, se tend comme un thriller suspendu à l’énergie délirante de son personnage, guettant le succès comme un pécheur au gros. Filmer en survivant, toucher le fond pour mieux rebondir : pas encore remède miracle, Achille et la tortue possède tout de même de sacrées vertus. Allez, on franchit le pas : on tient là le meilleur Kitano depuis Aniki, mon frère.