On sentait, à la bande-annonce, que quelque chose se préparait, sous des dehors académiques et la présence un peu étouffante d’un certain patrimoine anglais : une légèreté, une grâce, des éclats pop et amusés… On était loin d’imaginer qu’Une Education serait une des plus belles surprises de ce début d’année : un film qui séduit d’emblée et ne cesse de renforcer sa singularité, mouvante, indécise tant le récit paraît en permanence se réinventer, écartant un à un les enjeux attendus, lançant à ces occasions de nouvelles pistes inexplorées. Sans se départir d’un habillage relativement passe-partout, que certains ont trouvé élégant et beaucoup conformiste. Cette modestie de forme est séduisante. Cette défiance devant toute forme de radicalité s’avère paradoxalement audacieuse : le film se refuse à fouiller, élude, dévie et finit par ressembler à une fuite en avant à la fois optimiste et angoissée.
Le programme d’Une éducation pouvait paraître relativement convenu : Lone Scherfig fait mine de le suivre à la trace, et ne cesse d’en prendre le contrepied. La jeune oie blanche se révèle d’entrée de jeu plutôt émancipée, les parents stricts bienveillants et bientôt permissifs. Lorsque tout dans le scénario concourt à nous présenter Jenny comme la proie d’un séducteur invétéré, on voit ce dernier réellement amoureux, conscient de ses limites et de la probabilité qu’elle, du fait de son intelligence et sa maturité, finisse par le quitter, tâcher de conjurer le sort par une demande en mariage fébrile et peu assurée. Il y a là bien plus qu’une habileté scénaristique, et le contournement rusé d’un certain nombre de clichés. Ces voies de traverse témoignent d’une rare subtilité psychologique en même temps qu’elles permettent des accélérations et brusqueries romanesques inouïes. Le propos s’affine à mesure que le récit grandit. La trajectoire de Jenny, qui l’amène à se frotter à l’illégalité, la richesse, le Monde, a l’ampleur et la cruauté d’un grand récit hollywoodien ; dans un même mouvement, ses hésitations et anxiétés liées à l’avenir sont décrites avec la précision et la finesse qui s’attachent aux jeunes gens des séries d’Apatow – soit L’Esclave libre et Freaks and geeks dans un même panier.
On aimait assez Nick Hornby (ici au scénario), auteur attachant même si parfois inconsistant, sans le croire pourtant capable d’une telle réussite. Le final notamment illustre à merveille le talent de l’écrivain : on conçoit que ce retour au bercail déçoive, mais le souci du réalisme et du quotidien, une parfaite lucidité sur les impératifs matériels et financiers, viennent en permanence infléchir les élans romanesques. Ce balancement vaut bien mieux qu’un simple retour à la réalité : Jenny ira bien à Oxford, mais la voix off ne laisse aucun doute sur le fait qu’elle n’y mènera pas une vie ennuyeuse et rangée. La facilité aurait été de faire de ces quelques mois une parenthèse vite refermée. L’Attrape-coeur par exemple, que l’actualité invite à mettre en parallèle, paraît de ce point de vue beaucoup plus limité, avec sa fugue de trois jours nettement encadrée. Une Education préfère se construire, à l’image de son héroïne, sur ces paradoxes et tâtonnements qui ne s’annulent pas mais se renforcent et s’empilent, dessinant une émancipation, et un film d’une grande beauté.